Les Cours des miracles (Sance)

* Cyk'tine se croit indispensable parce qu'elle est restée bien trop longtemps ici... et qu'elle ne pourrait pas vivre ailleurs ! Espérons que la bestiole me réserve un traitement de faveur, sans quoi la maison Oméga ne doit pas être renommée pour son hospitalité... *

Je me lève lentement et contemple une dernière fois l'atout avant de le ranger. Tant d'énergie, de concentration et de temps pour un seul dessin... Pas sur qu'Aratan apprécierait son portrait, mais je perçois bel et bien le pouvoir derrière les perspectives tordues de mon tracé.

Par un contact d'atout, je sélectionne dans ma garde-robe un pourpoint et des chausses rouge et argent, d'un luxe discret. Je serais de toute façon bien en peine d'égaler l'originalité de la mode des Cours, pour ce que j'en ai vu lors de ma visite avec Darla...

Je laisse une brève note dans la chambre de Darla, l'invitant à nous rejoindre à son retour de la bibliothèque. Puis je descends pour prendre part au souper si soigneusement préparé de la Duchesse.

* Souper... très intime donc. Darla connaît bien sa mère. *

Je salue la Duchesse en effleurant délicatement sa main tout en m'inclinant. Un salut étudié, avec ce qu'il faut de formalité et de familiarité... auquel j'insuffle grâce et assurance.

"Votre seule présence suffirait déjà à rendre ce moment inoubliable. Et ce dîner est un honneur auquel je suis particulièrement sensible."

Tout en m'asseyant au côté de Bérice, j'étudie la pièce. Nous sommes aux Cours, et l'absence de magie est presque aussi surprenante que la magie elle-même. La robe de la Duchesse ne cache pas grand chose de ses intentions, mais je tente de percevoir autre chose, au-delà de l'éblouissement de mes sens.

"Vous vivez, Madame, dans des lieux fascinants pour le voyageur naïf et inexpérimenté."

J'observe Cyk'tine qui sort de la pièce. Se tient-elle mieux en présence de sa maîtresse, ou continue-t-elle son manège ?

* Froide est la couche de celui qui ne vit que dans la possession. *

Je croise le regard de la Duchesse avec calme et douceur. Mais le sourire que je garde sur mon visage reste aussi impénétrable que bienveillant. Si je croisais les cent Boddhisatvas en cet instant, ils m'inviteraient surement à les rejoindre...

"Je goûte avec plaisir cet environnement familier, après le tumulte de voyages à travers des mondes bien étranges. Mais vous seriez-vous donc lassée de l'agitation des Cours au point d'adopter une demeure digne des seigneurs d'Ambre ?"

Je prends une coupe de cristal, examinant la liqueur ambrée à la lumière des chandelles comme pour mieux en admirer la couleur.

* Du vin ? Ou quelque chose de plus "relevé" ? *

J'élargis mon sourire au compliment de Bérice. Elle n'est pas du genre à apprécier les étalages de modestie inutiles.

"Je ne pense pas que Darla ait jamais mentionné cet autel. Mais s'il est votre oeuvre, j'imagine que ce lieu doit être d'une beauté remarquable."

* Un autel pour une princesse d'Ambre ? Certains nobles des Cours peuvent-ils vraiment adorer à ce point les rejetons d'Obéron ? Dans quel but ? *

"La beauté mérite toujours d'être célébrée. Les femmes d'exception ont toujours constitué les sujets de mes portraits les plus réussis.

On chante la grâce de la princesse Florimel dans les endroits les plus reculés. Mais où serions-nous s'il fallait croire la moindre rime d'un poëte de cour ? Les louanges venant d'une femme de votre qualité m'impressionnent bien plus... et je dois l'avouer, piquent ma curiosité d'artiste. Mais aurai-je jamais la chance de croiser le chemin d'une princesse si remarquable ?"

Ma voix se teinte de regret et mes yeux se perdent au loin.

Tout en moi exprime la nostalgie d'une Ambre que je ne connais pas...

Je me recueille quelques instants afin de mieux goûter l'atmosphère de la chapelle. Si les raisons du culte m'échappent, il n'en mérite pas moins le respect.

* Me voici dans un lieu très privé... Combien de personnes sont-elles déjà venues ici ? *

J'entreprends ensuite une contemplation attentive des portraits de Florimel. Je n'ai pas à forcer mon admiration... Si l'artiste n'a pas menti, la Princesse est effectivement très séduisante. J'attends que Bérice ait achevé sa prière pour reprendre notre conversation.

" Un grand merci, Duchesse, de me faire découvrir un tel endroit et une telle femme. Mais je dois avouer que vous me rendez bien jaloux de l'homme qui a peint cette toile. "

* Mmfff ! Pas si vite ma chérie... Je ne suis pas encore au menu de ce soir. *

Avant que sa bouche n'atteigne la mienne, je pose ma main sur sa joue. Un geste délicat, mais aussi très clair, comme en témoignent mes yeux où luit une froide volonté.

"Pardonnez-moi, Duchesse, mais je crains que vous ne vous mépreniez. Je me tiens pour un ami de longue date de la maison Oméga...et je souhaite le rester."

Confiance déçue et irritation contenue teintent mes dernières paroles tandis que je quitte son étreinte.

"Je vous croyais une femme de tête. Souhaitez-vous mélanger d'une manière si brouillonne intérêt et plaisir, et gâcher l'un comme l'autre ? Nous avons des intérêts communs, la visite de votre chapelle privée me le confirme, et je m'apprêtais à vous parler d'un projet qui me tient à coeur..."

Je décoche à Bérice un sourire où perce le défi.

* Congédie-moi si tu le veux, adorable Bérice, mais cela prouvera seulement que tu réfléchis moins avec ta tête qu'avec le reste... et que tu ne vaux même pas le dixième de ta fille ! *

Mon sourire se fait plus dubitatif au mot de "bagatelle". Un jeu sans importance ? Elle avait pourtant l'air d'y jouer en passionnée... Je goûte à mon assiette, sans excès. Mon dernier banquet en tant qu'ambassadeur du Voyager m'a valu bien assez d'aigreurs d'estomac !

Mon exposé se fait progressivement plus rationnel, plus subtil et plus convaincant :

" Vous ne cachez pas votre intérêt pour Ambre et ses seigneurs. Une position qui ne vous vaut pas que des amitiés ici. Et que pourtant vous revendiquez en sollicitant une visite officielle chez l'ambassadeur des Cours en Ambre. Une personne de votre rang ferait-elle un voyage si important pour son seul agrément ?"

Je laisse bien voir que je ne le crois pas un seul instant.

"Depuis peu, j'ai moi aussi un désir de plus en plus vif de visiter ces lieux... Des affaires assez urgentes m'y appellent, ne serait-ce que votre portrait de Florimel." Sourire plus marqué. "Ne pourrions-nous pas entreprendre ce voyage ensemble ? Votre nom m'assurerait protection et reconnaissance, tandis que je pourrais aider votre maison à raffermir ses liens avec Ambre. N'avez-vous pas remarqué mon goût pour la diplomatie ?"

Je touche la main de Bérice, tentant d'emporter sa conviction tout en calmant ses ardeurs.

"J'ai justement la chance de ne pas avoir d'étiquette, et donc d'être bien plus libre dans mes propos et dans mes actes."

Je lâche la main de Bérice.

"Ici, personne ne m'a donné de raisons de parler ou d'agir avec brutalité, jusqu'à présent. Mais si je ne vous apparais d'aucune utilité en Ambre..."

Je me lève.

"... je ne vois pas comment je pourrais en avoir plus ici. "