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Prologue : L'atelier de l'artiste (Le mat)

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Message  Sance Dim 25 Oct - 21:28

Trouver la demeure de Sance n'était pas facile. Une fois dépassée la barrière d'octroi, Béryl avait dû marcher pendant une bonne demi-heure, en demandant plusieurs fois son chemin aux paysans qui fauchaient les foins. Le ciel était couvert, presque hostile.

"Sance qui ? Ah, l'chitek' t'veux dire ? Tourne après l'gros orme." Une route peu fréquentée menait à un manoir de granit sombre, où un serviteur austère attendait la jeune fille. Il la conduisit à travers un dédale de couloirs sombres jusqu'à une pièce inconnue avant de repartir sans un mot. Les visiteurs étaient assez rares pour ne pas avoir à lui poser de questions.

.oOo.

Béryl avança à pas prudents, surprise par la lumière qui régnait dans la vaste salle silencieuse. Chaque objet se détachait avec une parfaite netteté sur les murs de calcaire fruste. A droite, des papiers s'amoncelaient sur une lourde table en chêne. A son côté se dressait la maquette en bois d'une cathédrale, presque aussi grande que Béryl elle-même. A gauche, posés à même le mur, recouverts de jute grossier, des canevas de toutes tailles espéraient la touche finale du peintre. Deux statues montaient la garde de part et d'autre de l'enfilade de toiles. Au-dessus, de larges croisées ouvraient la salle sur le ciel. Les nuages ne semblaient finalement pas si menaçants.

Béryl continua à s'approcher du centre de la pièce. Face au chevalet vide, un fauteuil de cuir attendait, recouvert d'un châle bleu-vert chatoyant, soyeux, presque liquide au toucher. C'était donc là que...

"Une pierre précieuse aux couleurs changeantes." Appuyé contre l'encadrement de la porte, un homme en gilet et pantalon écrus observait Béryl en souriant. Les cheveux bruns, barbu, il semblait avoir trente ans, trente-cinq tout au plus. La jeune fille esquissa une révérence confuse en baissant le regard, les joues brûlantes. L'homme continua d'une voix profonde, paisible :
"Béryl ?
- Oui, Monsieur.
- Allons, laisse cet affreux
Monsieur à ta mère. Tu sais que je m'appelle Sance. Rien ne vaut les prénoms. Le tien est si approprié..."
L'homme s'approchait à pas lents de Béryl, qui se sentit obligée de relever la tête.
"Et de très jolis yeux avec ça. J'avais peur que tu ne louches à force de fixer le carrelage... Assieds-toi.

Tout en s'exécutant, Béryl grimaça de rage contre elle-même. En dépit de ses efforts, elle ne parvenait pas à se mettre en colère envers Sance. Il avait pris un tabouret dans un coin de la salle et s'était installé à côté du chevalet, face à elle. Béryl se trouvait gauche et stupide devant cet homme qui ne cessait de la contempler et de sourire. Le sourire de Sance ! Elle ne savait qu'en faire. Il la gênait, la troublait, mais il lui plaisait aussi, elle voulait qu'il s'arrêtât, et puis non, surtout pas...

"Maintenant, Béryl, si tu veux poser pour moi, il faut arrêter de te tortiller. Bien. Tourne la tête. Regarde vers les fenêtres... Très bien. Redresse-toi, et place ton bras gauche sur l'accoudoir. Bien, bien. Très bien." Sance se leva pour saisir sur la table un carnet et un crayon. "Il faut garder la pose, Béryl. Plus haute, la tête. Et maintenant, ne bouge pas." Plus aucun sourire n'apparaissait sur le visage de l'artiste qui couvrait la page de traits rapides, précis. Sance s'immobilisait parfois pour regarder Béryl avec une intensité qui la faisait frémir. Comme si ces yeux d'un bleu si clair voyaient en elle et au-delà d'elle une chose dont elle n'avait pas conscience...

Une bonne heure plus tard, Sance avait noirci plusieurs pages de son carnet d'esquisses. Béryl ne pensait plus aux lèvres ou aux yeux de qui que ce soit, mais à son propre cou, qui lui faisait atrocement mal à force d'immobilité. Après avoir griffonné pendant une dizaine de minutes sans interruption, Sance étudia encore son dessin longuement, puis il se leva. Le sourire était réapparu comme par magie sur le visage aux traits réguliers. "Merci Béryl. J'ai fini pour aujourd'hui. Peux-tu revenir après-demain, à la même heure ?" Sans attendre une réponse, il ouvrit la porte pour appeler son domestique. "Armand va te reconduire. Prends soin de toi."

Embarrassée, Béryl fit une courte révérence, puis passa devant Sance à toute allure pour retrouver l'air libre aussi vite que possible. Sur le perron, Armand arrêta sa contemplation du ciel, maussade, pour donner les trois écus promis. L'orage n'allait pas tarder, il fallait se hâter... Mais même une fois revenue dans les faubourgs, même à l'abri dans sa chambre douillette, Béryl, épuisée, ne pouvait s'empêcher de frissonner.

.oOo.

Semaine après semaine, le rituel se répétait avec de discrètes variations. Les esquisses s'accumulaient, le chevalet avait fini par s'orner d'une toile de taille moyenne, des pigments étaient apparus sur la table, puis une palette. Sance ne prononçait toujours aucun mot pendant qu'il dessinait, mais Béryl avait admis ce silence, qui lui avait d'abord semblé hostile, mais qui finalement l'apaisait. Immobile, sereine, elle n'avait pas à feindre ou à interpréter, seulement à exister sous ce regard qui ne l'intimidait plus.

Béryl n'avait pas dû adresser plus de dix phrases à Sance depuis leur première rencontre. Un matin, Armand ne se tenait pas devant le manoir pour accueillir la jeune fille. A quoi bon ? Une fois à droite, deux fois à gauche, et au bout du couloir, la grande salle aux murs clairs. Les objets, parfaits et immobiles, baignaient dans la lumière dorée déversée par les grandes croisées. Personne. Après quelques minutes, Béryl, impatiente, se décida à fureter. Elle ne jeta qu'un bref regard à la table de chêne recouverte de plans en pagaille, pour un palais peut-être, avant de se diriger résolument vers le mur qui avait suscité sa curiosité depuis le premier jour. Béryl commença à retourner quelques-uns des canevas et à soulever la toile de jute qui le recouvrait. Elle allait enfin savoir ce qui...

"Tu t'intéresses à ma peinture ?" Béryl était pétrifiée, à genoux devant le tableau qu'elle venait de découvrir. La voix de Sance paraissait presque joueuse, mais elle savait bien qu'il pouvait la renvoyer à sa guise. Et sa mère qui avait tant besoin de cet argent ! Pourquoi avait-elle cédé à cette curiosité idiote ?
- Tu ne réponds pas ? Je te le demande sincèrement : tu t'intéresses à ma peinture ?
- Oui, Mon... oui, Sance. Vous..."
Elle hésita un moment. Après tout, perdu pour perdu... Elle se retourna pour défier ces yeux gris-bleu qu'elle avait appris à connaître. "Cela fait des jours que vous me dessinez, et je ne sais même pas à quoi je vais ressembler."

Sance éclata de rire. Un rire doux, de joie pure, qui emplissait de plaisir Béryl sans qu'elle comprît vraiment pourquoi.
"Tu as peur que je ne te peigne avec trois yeux et une grosse moustache ? C'est vrai, on ne sait jamais, avec ces artistes..." Un clin d'oeil qui fit rougir Béryl dans l'instant. "Vas-y, continue, regarde mes toiles. Dis-moi ce que tu en penses."

Non seulement regarder, mais donner son avis ? Béryl resta interdite un moment avant de se résoudre à détailler le tableau qui lui faisait face.


Dernière édition par Sance le Mar 27 Oct - 23:47, édité 2 fois
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