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V. Adore ce que tu as brûlé et brûle ce que tu as adoré

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Message  Darla Mer 9 Déc - 10:17

"Baisse la tête avec humilité Sicambre, retire tes colliers,
adore ce que tu as brûlé, brûle ce que tu as adoré !"

Saint Rémi, à Clovis lors de son baptême



Darla ne saura jamais tout ce qu’elle me doit, et il m’arrive parfois de le regretter. A quoi bon se choisir une ennemie à sa hauteur si elle nous méconnait toute sa vie ? Si nous ne sommes pour elle qu’une ombre, un visage à peine reconnaissable ? J’ai trop bien réussi, et au crépuscule de ma vie j’en ai quelque tristesse.

J’ai servi Darla tout le long de mon existence, je l’ai admirée, et même du fond de ma haine la plus féroce je crois que je l’ai aimée. Douce Darla, cruelle Darla, qui ne portait sur celles qui l’honoraient qu’un regard voilé de dédain, si ce n’était de profond agacement… Pure Darla que ma haine a foulé aux pieds.

Mais peut-être convient-il de commencer par le commencement.

Je suis Géa, fille de Saul et d’Elia. La cadette, pour être exacte. Oui, je suis la fille de celle qui fit de l’étrangère une déesse alors que j’avais à peine deux ans. Oui, je fus la première prêtresse à consacrer ma vie à celle que j’admirais alors d’une façon immodérée, celle que j’aimais de toute mon âme – la seule que je n’ai jamais aimée, en fait.

Ironie du sort ? Non. Elle n’a récolté que ce qu’elle a semé. Nous, ses prêtresses, groupe de jeunes filles choisies parmi les plus robustes, avons sacrifié, pour elle, les plus belles années de nos vies. Au lieu de se choisir un fiancé nous travaillions notre corps pour être digne d’elle. Au fond de nous il y avait bien l’envie de la surpasser – mais cela, nous le comprenions vite, était impossible.

J’aimerais pouvoir m’étendre sur ma vie au temple – les cajoleries, les duretés. J’aimerais parler de ces filles qui, sous les encouragements de celle que nous servions, rompaient leurs vœux pour s’unir à un homme – les traitresses ! Alors que nous, celles qui restions, qui sacrifiions tout ce que nous étions, étions regardées avec un peu plus d’exaspération chaque fois ! Trois. Nous fûmes trois à tout donner. Une est morte sous les coups d’un soldat de l’Empereur, une est encore vivante et est si moche qu’elle ne pouvait rien espérer de toutes manières. Et moi. Moi qui fus, comme ma mère, une des plus belles femmes du village. Moi qui fus, après Darla, la meilleure chasseuse, la meilleure coureuse. Moi qui ai vu les ans ternir mon visage, griser mes cheveux en refusant toute caresse qu’il vienne d’un homme, ou d’une femme, ne l’acceptant que de la trop chaste Darla. Moi qui mets volontairement fin à mes jours. La derisaie qui coule dans mes veines m’éteindra au lever du soleil. Il me reste quelques heures pour rapporter mes remords – et porter à Darla le dernier coup.

En vérité, ma mère ne voulut jamais que nous passions notre vie au service de Darla. Elle souhaitait uniquement maintenir en place une comédie, et éduquer les jeunes filles du village. Sage maman, prudente maman ! Haïssable maman qui détruisit la pureté de mes sentiments en dévoilant l’imposture : Darla n’est en vérité rien d’autre qu’une étrangère, venue d’un autre monde. Secret qu’il lui fallut garder, secret qu’elle ne dévoila que sur son lit de mort. Secret que je révèle ici pour que tous le sachent, enfin ! Que la vérité soit connue, et ma vengeance complète !

Cette vengeance qui commença au moment où ma mère mourut... c’est le soir même de ce dernier aveu que j’envoyais la lettre à l’empereur. Pendant longtemps je crus qu’elle n’avait jamais été lue, et pourtant, il faut croire qu’elle le fut car le commandant de ses troupes sut me retrouver, après avoir mené ses hommes devant nos portes. C’est avec une joie toute cruelle, à peine mêlée de terreur face à l’importance de cette armée, que je dévoilai tout ce que je savais. Je trahissais mon père, le chef, et surtout je trahissais Darla, avec une merveilleuse exaltation.

Mais quels premiers remords j’eus quand, avant de partir, de nuit, pour aller parlementer avec le capitaine, elle me confia ce qu’elle allait faire ! A moi seule elle s’expliqua, à moi seule elle me fit ses recommandations. Peut-être était-ce dû à sa solitude, peut-être ne dois-je ce doux moment qu’au hasard de notre rencontre a détour d’une colonne. Mais la peine et la colère contenues que déclenchaient en elle ces troupes amassées firent naître en moi les premières larmes cachées. Comment aurais-je pu lui dire que tout était de ma faute alors que sa voix grave, chaude, réchauffait tout mon être ? Quand son regard, posé sur moi, éteignait les rayons de la lune ? En partant, elle posa sur mon épaule sa main, et posa sur mes lèvres un baiser d’adieu – comme ma mère faisait avec ceux qu’elle aimait. Ce baiser, comme je l’ai aimé ! Longtemps je crus sentir la brûlure de sa peau contre la mienne là où elle avait posé sa paume délicate – une paume capable de tuer ! Et pourtant si douce sur ma chair…

Tout ce que je fis ensuite fut pour elle. Elle l’attribua, justement, au traitre – car elle savait qu’il y en avait un – mais se trompa sur mes intentions. Les palissades montées, les armes affutées, l’attaque désespérée menée avec les dryades… Tout cela n’était pas pour nuire au village – ou du moins, pas directement. Mais Darla n’était pas revenue de son entrevue avec le commandant, et les écureuils ne la virent nulle part au camp. Le Morphut lui-même – immonde créature qu’elle aimait plus que nous ! – se lamentait. Que restait-il à vivre si Darla n’était plus ? A quoi bon continuer sans elle ? Comme il fut facile de convaincre mon frère ainé de saisir cette occasion qui ferait de lui, enfin, autre chose que le fils de son père ! Comme il fut facile d’allumer en lui les feux de l’orgueil ! Supplanter Darla quand elle nous abandonnait, surpasser Saul le faiblissant dans le sang de la guerre : ces idées firent de lui le chef qui nous mena à la défaite. Et qui fit une figure de traitre idéale pour la naïve Darla, qui n’imagine d’ennemis que franchement déclarés.

Oui, Darla, mon aimée, sache-le : c’est à moi que tu dois ton plus farouche opposant. Celui qui toute sa vie voulut t’écarter du conseil. Celui qui aurait préféré que tu ne reviennes pas et lui laisses la gloire de la bataille. Celui qui vit toujours en toi l’arbre qui lui cachait le soleil. Et toujours j’alimentais sa haine quand elle faiblissait avec l’amour, la paternité, la maturité.

Et pourtant, quelle joie j’eus de te voir revenir ! Il te suffit d’un mot pour faire partir les armées – tu étais revenue pour nous sauver ! Tu étais partie alimenter ta puissance pour nous débarrasser de nos ennemis !

Mais tu ne me regardas même pas. Tu avais un visage plus froid que jamais, et c’était comme si ta main ne s’était jamais posée sur ma peau. Tu te renfermas sur toi-même, ne parlant qu’aux autres : le Morphut, les écureuils, les dryades. Mais leur temps était compté. Tu eus beau pleurer quand les feuilles du Morphut ne purent plus t’abriter, tu ne pouvais faire revenir le temps en arrière. Comme tu fus seule ! Je te voyais déambuler dans le temple comme une âme en peine et j’étais heureuse ! Heureuse que tu goûtes ma propre souffrance. Heureuse que tu comprennes, sans le savoir, ma torture quotidienne. Je suivais avec délice les larmes glisser le long de tes joues au teint si délicat, lorsque la nuit tu abandonnais enfin ton masque d’impassibilité.

Puis je réalisais que tes larmes étaient pour mon père, pour ceux qui étaient morts pendant l’assaut que j’avais recommandé à l’oreille de mon frère, pour le Morphut, pour Gii et tous les autres… Je savais que tes larmes étaient pour les absents, pour ceux que tu avais aimés. Pour ceux pour qui tu n’étais pas revenu assez vite. Tu préférais les morts aux vivants ! Réaliser cela rendit la contemplation de tes larmes insoutenable.

Alors m’est venue l’idée de ternir ta gloire. De te prêter des amants cachés – et même l’Empereur. Certains préféraient penser qu’ils devaient leur survie à tes compétences bien cachées d’amante qu’à quelque pouvoir caché – même dans leur piété ils préféraient t’aimer que te craindre. Je tâchais le lys à coup de rumeurs diffuses, et avec un sentiment de satisfaction incomparable. Nul ne savait d’où partaient les rumeurs, nul ne savait qui les alimentaient. Mais je savais, moi, d’où elles venaient. Je connaissais si bien ce monde dont je m’étais coupée ! Une phrase lancée au lavoir, et je la faisais naître. Une confidence à une villageoise, et je l’éteignais. J’étais la tâche de vin courant sur la blancheur de la guimpe, dans l’unique but de faire croire qu’elle est pourpre.

Et pourtant, cette blancheur, comme je la connaissais ! Tandis que je t’épiais, la nuit, dans ton sommeil, jamais je n’ai vu tes mains s’égarer. Tes rêves mêmes étaient purs, toi qui ne soupirais jamais. Comme j’ai jalousé ce Zork dont le nom parfois s’échappait de tes lèvres finement ciselées. Et qui était cette Bérice ? Je la haïssais, celle qui te faisait froncer les sourcils aux heures les plus sombres de la nuit. Pure Darla que seule la rivière et le vent caressaient ! Ta chasteté est, sans aucun doute, ce que j’ai le plus haï en toi. Elle m’éloignait de toi quand, te peignant les cheveux, je passais ma main sur ta nuque. Quand, nettoyant ce corps à la douloureuse beauté, je laissais aller mes regards. Et pourtant, perçus-tu jamais le désir qui me hantait ? Tu chassais la mouche qui t’incommodait, tu te rhabillais plus rapidement, prise d’un malaise, ou me congédiais d’un sourire, ayant besoin de solitude, mais tu ne semblais pas avoir conscience de l’impudeur de mes pensées quand tu proposais à tes prêtresses, quelque jour de bonté ou de liesse particulière, d’aller avec toi à la rivière. J’appris donc à dissimuler mes rougeurs, à te caresser sans te toucher, à épier le moindre bout de ta peau découverte – et cela alimentait mes rêves les plus impurs.

O Darla je te demande pardon ! Pardon pour tout le mal que je t’ai fait. Vois comme je t’aime ! Même quand je veux dire à la terre entière ma haine pour toi, je n’écris rien d’autre qu’une lettre d’amour ! Pourquoi m’as-tu toute ma vie rejetée ? Pourquoi n’avoir jamais accepté mon amour ?

Aujourd’hui les jeunes filles qui te servent sont perverties, et causeront ta perte. J’ai fait de ton temple, sans que tu le saches, un lieu d’amours lesbiennes. Et déjà la rumeur court que tout est de ta faute… La troisième génération sera celle de ta perte, grâce à moi !

Mais pardonne-moi, je t’aime… Je souffre. Le poison qui me brûle à cette heure n’est rien. Un plus funeste a corrompu mon cœur toute mon existence. Je sais qu’après ma mort sera brûlée l’effigie dont l’adoration aura été ma seule joie. Je voulais en rire, et j’en pleure. Brûle cette lettre, ne la fais lire à personne ! Ces secrets doivent rester entre nous. Ne ternis pas ta gloire. Je ne suis pas digne de tenir ce rôle. Je ne suis qu’une folle qui a baisé l’objet que tu as touché. Ne pardonne-t-on pas aux fleurs, même les plus insipides, de contempler le soleil ?

Je… je ne parviens plus à assembler mes pensées, et mon bras me lance. Je crois que la fin est proche, et c’est tant mieux. Alors que la nuit s’éclaire je comprends le mal que je t’ai fait, la vanité qui m’a poussé à le faire. Je voulais que tu me remarques. Que tu me reconnaisses. Et je serai pour toi la folle qui a tout gâché, qui n’a rien compris. J’ai tout gâché. Ma mort sera une libération, malgré la souffrance. Souffrance que j’accepte comme une juste punition.

J’use mes dernières forces pour te demander de ne plus jamais pleurer. Tes joues ne sont pas faites pour les larmes.
Darla
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