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Chapitre 6 : Le filet d'Indra (La Maison-Dieu)

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Message  Sance Sam 9 Jan - 11:39

Une toile presque abstraite, aux couleurs vives, et fausses, représente une toile d'araignée, couverte de rosée. Les fils en sont trop fins pour apparaître, et seules les gouttes apparaissent, réfléchissant la lumière vive d'un soleil absent. Elles se détachent sur un fond de couleurs dissonantes et erratiques.

"Qu'est-ce... qu'est-ce que c'est ?
- Une vieille légende venue d'un monde que tu ne connais pas, Béryl. Là-bas, les sages comparent les hommes à ces gouttes de rosée unies par des liens invisibles dans le soleil du matin. Chacun d'entre nous est le miroir et le reflet infini de tous ceux qui nous entourent, sans même que nous en ayons conscience."


Chapitre 6 : Le filet d'Indra (La Maison-Dieu) Ch610


Assis sur le seuil de l'oratoire, Sance mangeait une pomme sans hâte, et sans véritable appétit, d'ailleurs. Mais il fallait bien s'occuper en attendant la fin du monde.

.oOo.

Une semaine avait suffi pour frapper Knockany de folie. Un matin guère différent des autres, des vents violents s'étaient levés sans que personne ne s'y attendît. Et bientôt, sur les marchés, on racontait que les courants marins, devenus imprévisibles, venaient d'emporter les rares pêcheurs qui se hasardaient encore en haute mer. L'esprit agité de pressentiments, Sance était descendu jusqu'au port de Maremme, où les pêcheurs chuchotaient à voix basse, terrifiés. La mer calme qui baignait les coques était d'un noir profond. Sous leur surface lisse glissaient au loin des ombres aux contours étranges. Des serpents ? Des poissons ? Les Eaux Noires des Serkils étaient arrivées jusqu'à Maremme.

Au crépuscule, les bourrasques avaient amené jusqu'à la ville le bruit de tambours lointains. Les guetteurs avaient repéré des feux du côté de l'océan au cours de la nuit, et le lendemain, les silhouettes menaçantes de trois-mats étaient apparues à l'horizon. Il n'en avait pas fallu plus pour vider Maremme de ses habitants, affolés. Au bout de quatre jours, les galions avaient fini par disparaître, emportant avec eux le battement des tambours. Mais personne n'avait osé revenir dans la cité, et chacun se terrait à présent dans des fermes, pour les plus chanceux, ou dans des camps de fortune, pour les moins bien lotis. Tout le monde attendait un signe... Mais lequel ? Et pour annoncer quoi ?

Sance lui aussi avait rapidement quitté la ville, tandis que des tempêtes toujours plus puissantes ravageaient les plages et les falaises. Sous une pluie battante, il avait traversé la campagne pour se réfugier dans le petit oratoire de Dian Cécht que Lugh et lui avaient décoré l'année précédente. Lugh. Sance soupira. Son ami sculpteur avait disparu dès l'apparition des Eaux Noires, dans l'exil confus de Maremme. Où était-il à présent, lui et tous ces hommes, ces femmes d'Ombre que Sance avait croisés à Knockany ? Reinar qui n'était pas revenu de son voyage dans les Serkils ? Et Vilman, ce pauvre voleur qu'il n'avait jamais retrouvé ?

Sance se leva d'un bond. Mu par une rage impuissante, il courut au dehors et lança avec violence son trognon de pomme, avant de s'immobiliser, coeur battant. Pas un bruit. L'orage ne grondait plus, le vent ne hurlait plus, la pluie ne pleurait plus. Tout était calme, effroyablement calme. Des nuages bas et soudés emplissaient le ciel d'une clarté grise, diffuse. Les palais désertés de Maremme se dressaient seuls devant un océan que pas une vague n'agitait, noir comme la nuit. Enfin, Sance comprit.

A l'ouest, l'horizon était barré d'un long rideau de pluie, ou de brouillard, zébré d'éclairs silencieux. Les îles de Knockany disparaissaient l'une après l'autre dans l'orage et la brume qui avançaient sans bruit, avalant le paysage de façon régulière, certaine, inexorable. Sance fouilla dans sa poche pour en tirer les atouts qu'il avait jadis pris à son père. D'une main fébrile, il les passa en revue, tous aussi tièdes les uns que les autres. Non, ce n'était pas possible, il fallait absolument... Ah ! Celui-ci ! Sance sentait une infime fraîcheur sous ses doigts alors qu'il tenait cet atout. Une forêt. Et ce curieux bâtiment derrière ? Peu lui importait.

C'était au tour des palais de Maremme de s'évanouir lentement dans la tempête. Et avec les tours fières, la jetée aux multiples navires, disparaissaient les souvenirs de Sance, ses gloires et ses trahisons. Eirinn... Mais l'heure n'était plus aux regrets inutiles. Sance se tenait en haut de la colline, attendant avec impatience de sentir le contact glacé de l'atout. L'odeur d'ozone, deux gouttes de pluie, et ce brouillard inconnu... Sance était entré à son tour dans la tempête.

.oOo.

Un battement de coeur. Sance affronte une infinie blancheur sans substance et sans contour. Un battement de coeur. Sance se tient à nouveau sur la colline de Dian Cécht, d'où il contemple les bâtiments puissants de la Maremme de naguère, face à cet océan au vert si profond et si intense. Un battement de coeur. Une nuit insondable défie Sance, constellée de visages inconnus, déformés par le rire et la douleur. Un battement de coeur. Des dunes, des montagnes, des forêts à demi transparentes tourbillonnent autour Sance en une parade inquiétante. Un battement de coeur. Le paysage familier de Knockany réapparaît devant Sance, puis lentement ses couleurs s'évanouissent, ne laissant qu'un océan de grisaille de plus en plus terne entourer des îles de plus en plus pâles. Un battement de coeur. De minuscules gouttes colorées dansent dans l'air face à Sance. Un battement de coeur. Plus rien.

Sance, médusé, regarde, écoute, ressent. Ni couleur, ni matière. Rien pour accrocher ses sens, pour comprendre le vide effroyable qui l'entoure, où l'espace est aboli, le temps suspendu. Il ne reste que ce battement de coeur de plus en plus lent, de plus en plus faible, que Sance perçoit sans l'entendre.

Et... oui, sur la gauche, une silhouette humaine à une distance prodigieuse, et qu'il voit pourtant comme s'il était face à lui. Un homme âgé, est étendu, la main accrochée convulsivement à sa poitrine. Sur la droite, tout aussi loin, tout aussi près, un homme tient d'une main une épée et de l'autre un rubis qu'il observe attentivement. D'autres silhouettes apparaissent dans l'espace sans limite. Au-dessus de Sance, un homme aux cheveux roux traverse à vive allure le vide terrifiant. Plus bas, des hommes et des femmes brandissent ensemble leurs épées devant un ennemi invisible. Une femme aux cheveux noirs observe calmement ce qui l'entoure en ouvrant les bras dans une accolade mystérieuse. Et là bas, au plus loin, le père de Sance, revêtu de son armure argentée, sa lance à la main, salue son fils avec un sourire incertain.

Une sensation de froid intense tira Sance de sa contemplation. Enfin ! L'atout fonctionnait ! Sance se concentra sur le paysage de forêt dense qui s'ouvrait à lui. Encore un instant... Le contact était si lent à s'établir, et oui, il pouvait franchir le seuil, il le sentait. Sance avança d'un pas. Il avait réussi, il était passé, il était...

Un choc soudain propulsa Sance dans le monde inconnu de l'atout qui l'avait sauvé.

.oOo.

Toute la jungle, effrayée, bruissait sous la mousson irréelle. De temps à autre, des oiseaux s'envolaient en piaillant tandis que les branches s'effondraient lourdement sous les trombes d'eau. Au sommet d'un bananier, un petit singe à la fourrure grise se balançait d'avant en arrière. Il finit par descendre de la canopée dévastée, car il avait entendu un nouveau cri qui s'ajoutaient à ceux qu'il percevait déjà.

Sur le chemin détrempé s'étendait une silhouette humaine, face contre terre. Le visage et les habits couverts de boue, Sance criait en tenant sa jambe gauche repliée contre lui. Mais hormis le petit singe qui s'enfuyait à toute allure, il n'y avait personne pour entendre les hurlements de Sance emportés par le tonnerre et la pluie, personne pour voir sur son visage cette grimace de douleur éperdue.

Il n'avait pas réussi. Ses mains tachées de rouge et de brun recouvraient, tétanisées, l'extrémité de sa jambe réduite à un moignon sanguinolent. Les chairs en étaient tranchées à vif, comme si on avait asséné à son pied un coup de hache aussi cruel que définitif.

Non, il n'avait pas réussi. Le contact d'atout s'était brisé alors même que Sance le traversait, le laissant dans une ombre inconnue, seul, perdu, et infirme.

Noyé de douleur, l'esprit de Sance répétait jusqu'au délire une question unique.

"Mon père, m'avez-vous abandonné ?"
Sance
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