A l'ombre d'Arden (Mereas, Darla)

Je m'efface du seuil pour te laisser entrer.

- Je vous en prie...

Alors que la lumière se fait, je remets en place la chaise tombée et tire la couverture sur le lit défait, et cela en quelques secondes. Puis j'allume ma propre chandelle, enfin retrouvée, à celle de Méréas. D'un geste, j'invite ce dernier à s'asseoir tandis que je rends au couloir ce qui lui appartient.

Puis je prends place sur le rebord du lit.

- J'avoue être très surprise de vous retrouver ici...

*Bon, cette fois-ci, soyons plus courtoise. Voyons, que disait ma mère ?*

Je fais un grand sourire, invitant mon hôte à rentrer de nouveau dans la chambre. Je remarque alors qu'il a toujours son manteau sur les épaules...

- Mais vous ne vous êtes même pas mis à l'aise ! Retirez votre veste, faîtes comme chez vous... Et j'avoue que oui j'ai encore beaucoup d'interrogations - mais je ne sais si j'oserais vous les poser toutes, de peur de vous exténuer ! dis-je avec un clin d'oeil. Et il me semblait avoir compris que vous même en aviez un certain nombre à me poser, mais vous ne vous êtes guère montré curieux à mon égard, au final. J'en suis presque véxée...

J'évite de prendre ce ton de poule que ma mère prenait devant ses invités, mais j'affiche le même sourire ravi, épanoui, heureux. Je me sens comme une guenon tentant d'imiter la gràce du serpent, mais - qui l'eut cru ? - je suis plutôt contente de pouvoir faire revivre un peu ma mère en ces instants, à travers moi. De là à savoir si ça va convaincre Méréas qu'il ne me dérange pas - comme il avait l'air soncèrement de le penser...

*Autrement que naturellement ? Donc là il pense que je suis naturelle ? Je ne me débrouille pas si mal, on dirait...*

- Oui, vous avez sans doute raison.

Mon sourire devient un peu las.

- Voyez-vous, on a parfois une route à suivre. Une route longue, dans laquelle on s'embourbe jusqu'aux genoux, dont on ignore la dstination, mais qu'il nous faut suivre coûte que coûte. Nous avons, à soutenir ou pour nous soutenir, deux poids à chaque main. Si on les lâche, on se perd, et on doit quitter la route - notre seule issue - pour le retrouver, quels que soient le prix à payer et les dangers à courir, car sans lui on se perd à coup sûr. Dans de telles circonstances, il est parfois difficile de profiter pleinement des rencontres faites sur le chemin.

Les mots se sont échappés, ls confidences sont venues d'elles-mêmes, sans que je puisse les anticiper, ou même les endiguer.

*Il ne faut jamais indisposer ses hôtes avec ses malheurs ! Ils veulent de la joie, des sourires, du plaisir : ils veulent oublier leurs soucis. Sinon, ils resteraient chez eux !* La voix de ma mère est revenue dans ma tête. Soudain, c'est comme si elle était près de moi. Mais cette fois-ci, je suis attentive et appliquée.

Je me mets à rire doucement en regardant de nouveau mon interlocuteur, faussement légère.

- Mais je vous importune avec tout cela ! Chacun a ses ennuis, et les miens sont peu de choses en réalité ! Je suis très contente de faire cette rencontre, Méréas.

La phrase sonne, sincère.

Tandis que plane le regard de Méréas, je sens mes joues s'embrasser. Je baisse légèrement la tête pour cacher cette rougeur subite par un mèche de mes cheveux glissant sur mon profil. Ce geste, je ne l'avais pas refait depuis... Sance. Mon coeur se met à battre, comme toujours, trop fort. Pourquoi ne rappelle-t-il pas ? Et toujours, en même temps, le remord d'attendre Sance quand je devrais chercher Zork. La présence de Méréas m'offre une échappatoire. Je peux laisser mes pensées s'éloigner loin de tout... comment disons-nous ? "tous ces petits ennuis"... Pieux mensonge pour profiter d'un instant de pause.

- Je vous remercie de votre franchise, et je vous promets d'en faire autant quand vous me poserez des questions.

Toujours ce sourire, un peu plus -un peu mieux - que de convenances. Soudain, je sens mes muscles se détendre. Pas de danger dans cette chambre... Puis mon sourire s'efface tandis que me revient en tête la question que je voulais poser, et un pli d'inquiétude voile mon regard tandis que je range la mèche échappée derrière mon oreille, dans un geste lent et non dénué de charmes...

- Vous avez parlé d'Ambre, tout à l'heure. Julian m'a parlé d'une guerre qui l'opposait au Chaos. Et vous parlez d'une épidémie. Ambre serait-elle en si mauvaise posture ?

Je secoue la tête tandis que mon poing se serre. La colère qui émane de moi est palpable - colère que j'évacue en frappant mon lit.

- C'est vraiment injuste !

Je te regarde, il devient pour moi important que tu comprennes ce qu'il se passe de l'autre côté. Comme s'il était pour moi vital que le nom du Chaos ne soit pas celui de l'Ennemi - parce que je me refuse à comprendre que le vrai visage du Chaos est ce visage de violence et d'orgueil ? Que celui de la paix n'était qu'un rêve ? L'image que j'ai du Chaos, que je veux faire partager à un Ambrien dans cet espace confiné, n'a-t-elle jamais été autre chose qu'un mirage ? Pourtant, c'est à âme perdue que je me lance dans mon explication - ma justification, mon plaidoyer.

- Tu te rappelles la révolution dont je t'ai parlé ? En fait, cela s'est passé au Chaos. Les prêtres du Serpent ont pris le pouvoir. Ils ont même tenté de tuer Merlin - notre roi ! Votre frère... Il n'a eu la vie sauve que de justesse - et je suppose qu'on doit ça à sa mère Dara ou son frère Mandor. Ensuite... ensuite...

Je relève mon visage, sans doute pour ravaler une peine trop vivace.

- Ensuite ils s'en sont pris à tous les partisans d'Ambre, dont ma mère faisait partie. Tous vos partisans aux Cours sont donc morts ou en exil, comme moi, sans doute à la recherche de votre frère. Les prêtres du serpent ont lancé la guerre, visiblement, avant même d'avoir pris le pouvoir ! Ils étaient vraiment sûrs d'eux ! Et au Chaos, on n'en savait rien. Certes, j'ai été, pour ma part, longtemps absente, mais certaines duchesses elles-mêmes ignoraient tout de cette guerre ! Nous sommes manipulés par des Entités... Le Serpent... Le Serpent lui-même était présent !

Il m'est difficile de canaliser mes sentiments en décrivant ces scènes que je revis en évoquant. Je tremble de tout mon corps, luttant contre cet effet de mes émotions. Je finis par me relever, faisant les cent pas, tel un fauve en cage.

- Et on ne peut rien faire...

Je marque une pause, tentant de retrouver mes esprits.

- Voilà pourquoi l'idée d'un traceur me met autant en colère. J'ai peur qu'ils me retrouvent par ce moyen, et ne retrouvent, par moi, d'autres personnes bien plus précieuses...