Explications (Darla, Sance)

Darla rejoint son protégé en pleine montagne. Nulle trace d'Austan.

Sance ne peut que constater la force de l'énervement placée dans la main de sa garde du corps lorsqu'il l'amène à lui, au cas où son regard n'était pas clair.

Il lâche sa main, pour se la masser négligemment, hésitant quant aux mots qui pourraient être utiles en ce moment.

"Je suis sincèrement désolé de t'avoir laissée t'inquiéter après notre départ précipité.

Nulle excuse ne permettrait d'apaiser le stress et l'énervement que tu as vécue. J'aurais aimé que la discussion avec le Duc aie simplement eu lieu au château, mais trop d'oreilles sont cachées en ces murs."

Il te laisse exploser, semblant résigné à devoir subir ton ire.

Spoiler:

Mon visage n'exprime rien d'autre que de l'hébétude alors que dans mon cerveau ce sont des vagues terrifiantes qui se soulèvent.

Me marier ? Moi ? À un Ambrien, qui plus est ? Le duchesse Darla Oméga, abandonnant terres, titre, roi...

Mais de roi, en ai-je encore un ? Merlin a laissé mourir ses fidèles, de quel trône peut-il être encore digne. Et les prêtres du serpent sont pires ! Quant aux Passes... Même si je les récupérais – mais je ne les aurai qu'en m'abaissant devant un roi que je n'estime plus, et cela je ne saurai le faire, de toutes manières – elles finiraient de se délabrer, sans personne maîtrisant le Logrus pour les maintenir ensembles, unies, entières.

Et que m'importe le Chaos maintenant ? Et que m'importe aussi sa guerre contre Ambre ? Ne suis-je pas sans patrie, sans dieu...

Sans dieu, libre. Et Sance m'en propose un. Il me veut prêtresse ! Moi ? Qui ne rêve chaque nuit que de commettre un déicide ! Tout en moi se rebelle contre cette idée qui m’apparaît contre-nature, qui s'oppose à tout le moins à ma nature : moi, servir un Dieu !

Ni Dieu, ni maître ! J'ai assez payé le prix d'avoir eu l'un et l'autre pour ne pas avoir envie de recommencer l'erreur.

Je lève mon regard sur Sance, déjà sûre de ma réponse, mais ce même regard dévisage les courbes de la mâchoire, le pli de la bouche, le méplat de la joue, le regard clair, en attente. Si je refuse sa demande, est-ce que je ne le perdrai pas ? Et cela au-moment où... oui, soudain m’apparaît clairement la plus simple de chose : cette demande en mariage est aussi un acte d'amour. Et quel acte !

Même s'il le présente comme une stratégie, je le connais trop prudent, trop sur la réserve, pour mettre sa vie en balance par calcul. Cette demande n'est pas que raisonnée, ou raisonnable, elle est aussi et surtout une promesse, une preuve.

Enfin un sourire étire mes lèvres, et mon regard se met à briller.

Pourtant, puis-je tout abandonner par amour ?

Il me vient soudain une image, comme un éclair. Dans un jardin lumineux, Sance peint un paysage pastel. Il se lève, entre dans une grande maison et me rejoint, pose sa main sur mon sourire et ma joue ronde, puis sur mon ventre où dort un être qu'on ne connaît pas encore, mais qu'on aime déjà. Cette image, qu'un « oui » rendrait possible, est un espoir de bonheur, chose à laquelle j'avais renoncé, je m'en rends compte maintenant, depuis très longtemps.

Au bras de Sance, je trouverai un amour et une place que je n'ai jamais eus ni auprès de ma mère, ni avec Zorg. Je ne les ai trouvés qu'au sommet d'une montagne, avec un animal aussi blanc que la glace. Et maintenant, on me les offre une de nouveau, chaleureux cette fois, épanouissants, faits de calme et de tendresse, et non plus de haine et de colère.

Ai-je jamais eu la chance de m'apaiser enfin ?

Sance me l'offre.

Cet homme qui est mon opposé, qui est prudence, sagesse, réflexion. Cet homme que j'aime, à qui j'ai su pardonner, dont j'ai douté sans jamais réussi à haïr. Cet homme, d'une phrase, m'offre ce que j'avais pu attendre sans le savoir, et même plus.

Je plonge mon regard dans le sien. Il est intense, brûlant. Il est passion.

Mais je reste Darla.

« J'aimerais, Sance. Vraiment. Rien ne me rendrait plus heureuse que d'unir nos destins. Mais je ne saurai me soumettre de nouveau à un Dieu. »

Qu'est-ce que l'amour et le bonheur si pour l'obtenir il faut se renier ?

Pourtant c'est craintive que je prononce ces mots. Vais-je le perdre ainsi ? N'y a-t-il pas de solution intermédiaire ? L'épouser sans renoncer à mon libre-arbitre... est-ce impossible ? Sance mon ami, mon amour, je t'en prie, comprends-moi... permets-moi de t'aimer en restant ce que je suis...

Tu as l'impression que le coeur de Sance se brise dans sa poitrine, par la crispation qu'il ne peut cacher sur son cou, zébrant comme une flèche vers son coeur.

"Je comprends." se contente-t-il de dire pour se donner le temps de récupérer ses esprits et remettre en route ses pulsations cardiaques, passant du rose au noir et blanc. Mais peut-il vraiment comprendre tous les non-dits que ton esprit garde enfoui à double tour dans les profondeurs de ton coeur.

"Ma voie est, et sera encore plus dans le futur, liée au Lion.

Je ne m'étais pas rendu compte que tu ne pourrais pas supporter sa proximité, j'ai toujours pensé que tu n'en voulais qu'au Serpent. Excuse-moi."

Il lève la tête, comme pour prendre le pouls du vent, sèchant des larmes avant qu'elles ne pointent, avant de revenir vers toi.

"Sais-tu où tu voudrais aller ?"

Après ton refus, une seule solution reste désormais ouverte.

"Ma voie est, et sera encore plus dans le futur, liée au Lion.

Je ne m'étais pas rendu compte que tu ne pourrais pas supporter sa proximité, j'ai toujours pensé que tu n'en voulais qu'au Serpent. Excuse-moi."

"Sais-tu où tu voudrais aller ?"

Les mots raisonnent en moi sans que j'en comprenne vraiment le sens. Puis ils me heurtent violemment, et je sens mon souffle se couper, une barre puissante compresse mon torse et m'empêche d'aspirer l'air nécessaire.

Ça ne dure qu'un instant. Je sens la glace de la haine recouvrir les derniers lambeaux qui me servaient encore de cœur.

Je pourrais tenter d'expliquer mon point de vue, le lui faire comprendre. Mais sa décision est déjà prise, le congé déjà donné. Il a choisi sa voie, et elle est inconciliable avec la mienne. Je suis ce que je suis, et même si ce n'est pas grand chose c'est encore la seule chose qui me reste.

Je me redresse, fière, distante, les mâchoires crispées.

J'émets un rire qui pourrait tout aussi bien être un sanglot.

- Et bien, tu es aussi prompt à demander en mariage qu'à licencier. Quel homme d'affaire implacable !

Un rictus tord mes lèvres dans une grimace cynique.

Je te laisse le choix entre un atout du Voyager et un autre de Zork.

Je prononce une phrase bête, mesquine, nulle en fait :

- Normalement l'atout du Voyager devait être mon paiement pour tuer l'homme que je vais épouser. Mais après tout, puisque je n'ai plus rien à perdre en m'unissant avec lui...

Mensonge cruel, mensonge inepte, auquel même moi je ne crois pas. J'ai envie de le tuer, tout en me sentant incapable de lui faire mal.

Mais plus que jamais je hais ces dieux qui séparent les êtres, et les êtres qui préfèrent les dieux à leurs pairs.

Tu te concentres sur l'atout noir et blanc, devant forcer une peu ton esprit afin d'ouvrir une fenêtre stable. Alors que tu la traverses, laissant ton prétendant en arrière, tu le vois te saluer en portant ses doigts sur ses lèvres.