On finit par l'Omega (Darla, Sance)

Darla rentre de la bibliothèque, alors que Sance se lève de table.

@ Darla : Tu vois Cyk'tine caché à côté du chambranle de la salle à manger, occupé à espionner ce qu'il s'y passe. Ta mère parle à quelqu'un d'une voix suave.

@ Sance : Une porte se ferme sans grand ménagement. Sans doute celle de l'entrée.

Bérice paraît amusée de ta soudaine exaspération. Tu sembles si beau quand tu es vexé.

Elle a aussi entendu la porte se refermée et un sourire mutin et mauvais passe rapidement sur son visage.

@ Tous : "Mais qui vous parle d'utilité en ces lieux ? Vous êtes ici mon invité, à qui j'ouvre mon coeur et mon corps, sans arrière pensée. Je me veux une hotesse de charme qui n'a de cesse de vous offrir le meilleur de ces lieux. Je ne doute pas que vous êtes sensible à mes efforts pour vous plaire, très cher Sance."

@ Sance : Elle s'est levée tout en parlant, venant vers toi, désireuse de placer ses mains sur tes épaules.

Darla a écrit:Entrant dans la fraicheur du lieu clos, je respire de nouveau. Ma curiosité trouvera bien... Ma réflexion s'arrête net quand je vois Sance dans le salon avec ma mère. Eh bien !ILs ne perdent pas de temps !

Fière et droite, je m'arrête sur le pas de la porte.

- Bonsoir ! Je vois que vous vous amusez bien, je ne vais pas vous déranger.

J'esquisse une révérence ironique, salue de la main avec un clin d'oeil et m'empresse de monter dans ma chambre.

Je me tourne vers Darla pour la saluer : "Bonsoir Dar..." La porte s'est déjà refermée sur une silhouette en mouvement.

* Toujours aussi impulsive ! Si elle était rentrée alors que Bérice m'enlassait... *

Je me retourne vers la Duchesse, contenant progressivement mon agacement.

"Croyez bien que j'apprécie vos efforts, Madame, à leur juste valeur. Mais le voyageur peu habitué aux Cours se fatigue bien vite de tant de splendeurs. Il est tard, et je me sens las."

Une révérence polie mais presque anodine. Avant de franchir la porte, je me retourne pour contempler Bérice, toujours aussi enjôleuse et moqueuse. Le ton est badin, mais le propos bien sérieux.

"Le meilleur de ces lieux ? Vous savez tout comme moi que je l'ai ramené ici il y a quelques jours à peine, à mon bras. N'espérez pas me convaincre du contraire avec un simple dîner... sauf s'il est en Ambre, bien entendu. Mes compliments à Cyk'tine pour le repas !"

* Allons voir Darla à présent *

Alors que je m'apprêtais à ouvrir mes paquets, j'entends frapper. Allons donc, encore ce maudit serviteur ! J'ouvre la porte violemment et m'arrête net devant le visage de Sance. Le plaisir de le voir devant ma porte - alors que je m'attendais à ne pas le revoir avant le lendemain matin - fait monter une subite chaleur à mes joues - nul doute qu'elles soient rouges... Ridicule ! Je suis ridicule. Pourtant, je tente de garder un maintien fier - je n'oublie pas que je le "boude" (suis-je donc une adolescente pour me comporter ainsi ?).

- Ah ! Vous voulez sans doute les résultats de mes recherches ! Entrez donc ! Vous serez mieux dans ma chambre que dans le couloir...

Ma chambre ? Je vais faire entrer un homme dans ma chambre ? Je tourne le dos pour le précéder dans la pièce et surtout pour cacher la montée subite de pourpre qui doit désormais envahir mon visage. Une... Deux... Trois respirations. Je ferme la porte. J'ai moins chaud. Surtout, surtout, ne pas le regarder s'asseoir sur le lit... Je sors mes notes... et pense que jamais je ne couperai mes cheveux qui cachent si bien mon visage quand je le souhaite.

La rapidité avec laquelle la porte s'est ouverte me surprend un peu.

"Merci Darla... merci beaucoup."

L'observateur le moins attentif remarquerait sans peine que Darla sort ses parchemins avec des gestes trop vifs, où alternent efficacité et indécision. Mais je n'ai pas besoin de regarder pour savoir. C'est une vraie tempête de sentiments contraires qui me parcourt lorsque j'entre dans la pièce. Je les connais déjà, mais leur intensité est inhabituelle. Comme si je n'avais pas déjà eu ma part d'émotions avec le dîner raffiné et cruel de Bérice !

"Je suis effectivement très curieux d'en apprendre plus. Qu'as-tu trouvé ?"

Et tandis que je m'installe, les oppositions s'apaisent, les émotions se font plus sereines. Du calme, Darla, du calme, tu es chez toi...

Je ne peux pas m'empêcher de sourire au digest éclair d'éons de luttes fratricides, remplies de combats et de magies. En particulier lorsque j'entends parler du "gentil Serpent" et du "bazar dans les Ombres". Au moins Darla n'est pas intimidée par les Puissances... A tort ? A raison ?

"Oui... si le Serpent devinait si bien ce que les démons pouvaient faire, comment se fait-il qu'il ait été berné par Dworkin et la Licorne ? Avaient-ils quelque chose de spécial ?"

Je me lève pour contempler le croquis de Suhuy. J'ajoute doucement :

"Et concernant les Trinités ? Qu'as-tu trouvé ?"

- Un statut politique ouvre beaucoup de voies... même celles de la connaissance, il faut croire, dis-je en haussant les épaules. Je suis toujours de profil, ne regardant pas mon interlocuteur dans les yeux - et le moins possible, pour tout dire.

Dans le clair obscur de la chambre, le profil de Darla fait resurgir un souvenir que j'avais tenté d'oublier. Quel secret tente-t-elle de cacher ? Ma main se pose sur son épaule.

"Darla. Est-ce que quelque chose ne va pas ?"

"Au contraire, Darla, au contraire... Tous ces éléments me sont très utiles."

Je parcours de la main les parchemins, avant de continuer :

"Tu es allée au bon endroit, et tu as posé les bonnes questions à la bonne personne. Le bibliothécaire savait de quoi tu parlais. Il ne te demanderait pas un sauf-conduit si ces informations n'étaient pas disponibles ou si elles t'étaient rigoureusement interdites. Nous sommes très proches du but."

Mes paroles emplissent la pièce de confiance et de sérénité.

" Quelqu'un d'autre pourrait-il fournir cette accréditation ? "

" Peux-tu lui rendre visite et tenter d'obtenir cette faveur ? Inutile d'être trop précise sur l'objet de tes recherches... "

Je regarde la fenêtre donnant sur une obscurité sans limite. Une peinture somme toute assez fidèle de mon état d'esprit. Je reprends sur un ton neutre :

" De mon côté, j'ai essayé de persuader ta mère de nous emmener avec elle lors de son voyage à Ambre. Mais ai-je été assez convaincant ? "

Alors que Sance vient me rejoindre près de la fenêtre, je tourne mon visage sur le sien. Je ne peux empêcher mon regard de se poser sur ce profil devenu familier. Ma rancune s'apaise, comme une poussière balayée par une brise. Je penche ma tête sur le côté, pensive :

- Comment ne le seriez-vous pas ? Vous êtes la personne la plus persuasive que je n'ai jamais connue... Mais je serais surprise qu'elle ne vous demande rien en échange...

Cette phrase est dite avec mépris. La séparation de plusieurs décennies n'a amené aucune paix dans mon coeur vis-à-vis de ma mère. Au contraire, même... Plus que de la haine, c'est un peu de mépris qui teinte ma piété filiale. J'aimerais pouvoir changer cela... mais cela me semble au-dessus de mes forces.

Mon regard revient sur l'obscurité extérieure. Je sens ma gorge se nouer et c'est avec émotion que j'ajoute :

- Cela n'a pas toujours été ainsi. Il fut un temps où nos passes étaient égayées de couleurs, de mouvements, de vie. Ma mère a tout laissé à l'abandon... Quel gâchis !

J'émets un petit rire et ajoute :

- Le serpent n'est pas si puissant, si c'est à nous de préserver sa création de son retour aux abysses...

Je hausse les épaules.

- Enfin... Après tout, bien que cela soit mon héritage, je n'ai pas mon mot à dire. Je n'ai jamais eu mon mot à dire de toutes manières...

Je pose mon front contre la fenêtre, sa fraîcheur apaisant la fièvre qui monte comme ces confidences qui soudain s'écoulent - jamais encore je n'avais pu parler de tout cela à quiconque.

- Peut-être aurais-je dû savoir le prendre... Comme vous savez si bien le faire. Mais je ne suis pas ainsi. Il faut pardonner mes silences, Sance, ils sont ma force à moi, mon dénie quotidient en ce lieu. Ne me reprochez plus de ne pas être telle que vous attendez que je sois, car vous serez toujours déçu, et je ne tiens pas à cela. J'aimerais que vous m'accpetiez comme je suis, rien de plus...

Puis je me recule, me mets à rire, cachant la honte de cet aveu.

- Je suis désolée ! Je dois passer trop de temps en bibliothèque, mon esprit s'égare ! Dès le cycle prochain je demanderai à Zork de me recevoir. Plus tôt nous serons partis d'ici mieux cela vaudra ! Je suis toujours de mauvaise humeur quand me mère est dans les parages ! Vous devez me trouver insupportable !

J'écoute la voix de Darla qui s'élève dans le silence, avec son flot continu d'émotions. Une confidence. Un instant rare, fugace, je le sais bien. Et aussi un honneur, sans que je me l'explique complètement.

" Insupportable ?" Je hoche la tête avec un sourire incrédule. " Non, Darla, ne t'inquiète pas, je te comprends. Je sais ce dont ta mère est capable. Nous ne sommes que des jouets pour elle. Et je réalise ce que ce séjour dans les Cours peut signifier pour toi. "

Je m'interromps un moment, hésitant. Je pourrais dire encore d'autres paroles, agir de bien des manières en cet instant, mais en serais-je plus heureux pour autant ? Et Darla ?

Je finis par reprendre, plus léger : " Tu as raison : mieux vaut ne pas rester trop longtemps ici. J'aimerais t'emprunter tes notes. Ce sera une bonne manière d'occuper ma journée, puisque je ne peux pas vraiment sortir..."

Sance a écrit:Je sais ce dont ta mère est capable. Nous ne sommes que des jouets pour elle.

Serais-je donc moins seule ? Ne suis-je donc plus la seule à me rendre compte de ce qu'est ma génitrice en réalité ? Et en même temps cela me blesse. J'aurais tant voulu qu'on ne puisse jamais à avoir médire de ma mère...

Sance a écrit:" Tu as raison : mieux vaut ne pas rester trop longtemps ici. J'aimerais t'emprunter tes notes. Ce sera une bonne manière d'occuper ma journée, puisque je ne peux pas vraiment sortir..."

Je vais à mon sac, prends les notes, les apporte à Sance tout en disant, les sourcils froncés :

- Vous pouvez sortir. La Paix entre les Cours et Ambre est propice à cela. Si vous voulez, demain midi, nous mangerons ensemble dans un petit restaurant que je connais... Vous ne pouvez pas rester enfermé ici tout le temps du séjour ! Vous allez devenir fou ! D'autant plus qu'obtenir cette fichue accréditation va prendre du temps. Le plus simple aurait été de demander l'accréditation aux prêtres - mais dans la mesure où ma mère est connue pour son stupide culte à Florimel, il vaut mieux éviter. Mais passer par la sphère politique pour influencer la religieuse risque de se payer cher...

Je hausse les épaules.

- Cela vaut le coup d'essayer quand même. Mais il me faudrait savoir pourquoi est-ce que vous vous intéressez aux Trinités. Qui sont-elles ?

Sous le soleil aux rayons obliques, nous étions arrivés devant un canyon tourmenté d'émeraude et de turquoise. Et moi, le jeune Sance aux esquisses maladroites, j'avais finalement osé poser la question qui me brûlait les lèvres : "Les Trinités... qu'est-ce que c'est ?"

Je balaie de mon esprit l'illusion du souvenir.

" J'ai justement besoin de toi pour répondre à cette question, Darla. "

Je regarde la jeune femme dans les yeux, et continue calmement.

" Tu disais qu'il te fallait assumer ton héritage, même si tu ne l'avais pas choisi. Le mien croise les Trinités, quoi qu'elles soient. L'Ombre où j'ai grandi était liée à ces puissances anciennes. Ce sont des pouvoirs qui remontent aux premiers temps de la Création, des temps qu'Ambre ignore mais dont les Cours se souviennent.

Quelqu'un a pris beaucoup de peine pour nous réunir sur le Voyager, à cause de nos héritages respectifs, qu'il s'agisse de la Marelle, du Logrus, ou d'autre chose... Je n'aime pas être manipulé de la sorte. J'ai bien envie de retrouver notre "bienfaiteur", mais j'ai besoin pour cela d'en savoir plus sur ce qui l'intéressait tant. "

- Je ferai ce que je pourrais.

Pour la première fois, Sance aborde le sujet de ce qu'il était avant le Voyager... Cela me touche - cela prouve qu'il me fait confiance.

- Mais visiblement, si les Cours se souviennent des Trinités, ce n'est pas dans les meilleurs termes... Peut-être serait-il bien que tu vois Zork en même temps que moi. Tu auras plus de talent pour le convaincre de s'impliquer dans une telle affaire...

" Est-ce que tu ne penses pas que ma présence augmentera encore la méfiance envers ta démarche ? Ceux qui gardent ces informations accepteront probablement de les transmettre à l'héritière d'une maison des Cours... mais à un voyageur venu de nulle part ? J'en doute. "

* Elle m'a tutoyé... *

" Je sais convaincre, mais je ne connais pas Zador, et qui qu'il soit, il s'interrogera sur moi. Tu sauras trouver les bons arguments... Dis lui qu'après ton séjour en Ombre, tu veux retrouver ta place aux Cours, et que tu as besoin de mieux les comprendre. Par la Trimurti, ce ne sont que des livres, tu ne demandes pas à devenir la maîtresse du Logrus ! Et si on te refuse cette accréditation, je pourrai toujours revenir à la charge par la suite...

Je n'ai pas vraiment sommeil... mais je me sens obligé d'ajouter : " Il se fait tard, et nos journées sont bien chargées. "

Difficile de refuser une pareille offre.

" Pourquoi pas ? Cela ne nous fera effectivement pas de mal de nous dégourdir un peu les jambes... "

De toute façon, ma présence ici n'est plus vraiment un secret à présent. Émoclée et son cher fils ont déjà dû répandre la nouvelle... si Bérice ne s'en est pas chargée auparavant.

L'embarras de Darla me fait sourire. Peut-être que son couturier mériterait une visite, ne serait-ce que pour comprendre ce que les gens jugent beau ou approprié ici...

" Oui, soyons pratiques avant tout ! Et puis, habillé comme je suis, je ne risque pas de commettre de faute de goût, n'est-ce pas ? " Je termine sur un clin d'oeil amusé.

J'ajoute en quittant la pièce : " Je passe dans ma chambre déposer tes notes. A tout de suite. "