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I. Moi c'est Darla

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I. Moi c'est Darla Empty I. Moi c'est Darla

Message  Darla Dim 30 Aoû - 20:48

- Bonjour !

J’ouvre les yeux, surprise. Au dessus de moi, un écureuil dont les pattes écrasent mes sourcils et mon front, dont la petite bouille épie mon visage. Et au dessus de l’écureuil le visage d’un jeune homme aux tâches de rousseur. Il me faut quelques secondes pour comprendre ce que je fais sur cette herbe jaune, sous ce soleil vert, au lieu d’être dans mon lit dans les Passes Oméga. Quand je retrouve enfin le fil perdu des dix années passées, je réponds un simple et mimétique :

- Bonjour.

Je prends l’écureuil par la peau du cou et me redresse en le mettant dans la main. Celui-ci me regarde sans crainte de ses grands yeux noirs et doux.

- Hey ! fait le jeune homme. Lâche Gii !

Il me prendrait sans doute la petite bête des mains s’il ne craignait de lui faire mal. Je lui tends l’écureuil qui continue de me fixer – à tel point que ça en devient presque dérangeant. Cet écureuil n’est pas un simple écureuil… Il a quelque chose de bizarre… d’humain, pourrais-je presque dire.

Quand le jeune homme reprend Gii, celui-ci s’empresse de monter sur l’épaule que je lui soupçonne être familière.

- Lui c’est Gii, donc, dis-je en montrant la petite créature rousse du menton. Mais quel est ton nom à toi ?
- Moi c’est Saul. Et toi ?
- Moi, c’est…

Je marque un temps d’hésitation. Pourquoi ne veux-je pas répondre Darla comme je le fais habituellement ? Peut-être qu’ici, plus qu’ailleurs, à cause de ce rythme lancinant donné par la terre et de cette herbe si jaune, je voudrais être moi, plus que la fille de ma mère, à qui je dois ce nom… Ou bien peut-être voudrais-je être autre chose que cette Darla tant de fois rabaissée qu’elle a parfois l’impression d’être emprisonnée dans l’image d’insignifiance et de brutalité qu’on a fait d’elle.

- Moi c’est Darla.

Manqué. Nous sommes ce que nous sommes, ici comme ailleurs. Quelque endroit nouveau où nous posons enfin nos valises, il y a au moins une personne qui nous connait et qui nous contraint à nous souvenir ce que l’on doit aux gens qu’on aime et qu’on déteste : nous-même.

Quelque chose en nous nous empêche d’être cet autre que nous voudrions être, nous ramène à ce que sommes devenus, ce « soi » qu’on hait, méprise même parfois, mais qui, quel que soit le sentiment qu’on nourrisse à son égard, nous accompagne de son cortège de démons. Il est des fois où j’aimerai arracher ce « moi » comme je peux assommer un homme, user de ma force brute pour éliminer de mon être ce que je suis, pour enfin pouvoir être libre.

Derrière ce nom choisi par ma mère il y a toute sa haine à elle, tout ce mépris qu’elle est parvenue, à l’usure des années, à faire mien. Elle a réussi à faire en sorte que je me vois comme elle me voit : gauche, empruntée, stupide… un petit « elle » haïssable et empesé dans cette force brute mal maitrisée, ce « elle » que ma mère prononçait avec dédain.

Et quand j’ai l’idée de fuir quelques secondes tout ce passé de mesquineries, d’attaques piquantes, de remarques acerbes, il me revient à la gueule – BAN ! Tu veux partir ? Tu veux quitter « moi » ? Crève plutôt ! Je serais toujours là pour te rappeler ce que tu es, que tu es ce « moi » que tu refuses ! Oui, je serai toujours là, en toi, ou plutôt « toi », sans le « en », « toi » directement, ou « moi-toi » si tu préfères, que tu le veuilles ou non… Et le nom n’aurait rien fait à la chose, de toutes manières. Darla, Fanchon ou Xiao Guang, tu aurais été ce « moi » insignifiant et inutile de toutes manières…

Je ne pense pas qu’à l’époque j’aurais pu comprendre tout ce qu’il y avait derrière ce « Moi c’est Darla ». En vrai, je me rappelle juste avoir hésité sans trop savoir pourquoi, et dit mon nom avec une impression de malaise. Mais aujourd’hui où on m’a appris à aimer ce « moi », à ne plus le regarder avec les yeux de ma mère, ce « moi » qui n’est plus ce « elle » que pour les autres, et plus pour moi, aujourd’hui je me rends compte de la défaite écrasante cachée derrière cette phrase.

Comment Saul aurait-il pu comprendre tout cela ? Mon hésitation le fait sourciller mais il me tend la main pour m’aider à me relever. Alors que je la lâche, il la secoue et se la frotte en grimaçant.

- Quelle poigne ! Impressionnant. Mais dis-moi, Darla, ce n’est pas un nom d’ici…

- C’est peut-être que je viens d’ailleurs…

Disant cela, je repère au loin la petite maison et la tour dans un arbre, qui semble être précurseur d’un village plus bas dans la vallée, bordé d’une rivière et d’une forêt au rouge flamboyant. Je me suis endormie juste à côté d’un poste de garde et, trop confiante en l’aspect de cette ombre, je ne l’avais même pas remarqué…

- Et d’où viens-tu ? Nous ne recevons guère d’étrangers ici, notre « voisinage » inquiète les gens…

- Votre voisinage ?

Je reporte mon regard sur le visage juvénile, ouvert, au sourire franc. A ma question, il prend une mine gênée :

- Bah oui… Les forêts sont dangereuses…

Comment est-ce qu’un garçon qui vit dans un arbre et a pour compagnon un écureuil peut-il dire d’une forêt qu’elle est dangereuse ? Dans quel monde ai-je encore échoué ? Je hausse les épaules, souris, me voulant rassurante :

- Oh je n’ai peur de rien, et je cherche un abri pour la saison.

Quoiqu’il en soit, cet endroit me plait, et j’aimerais y rester… Une saison, un an, plus peut-être ? J’aviserais…

Mais Saul fait la moue.

- C’est que nous recevons peu de monde ici. Il n’est pas évident de rester. Il faut l’accord du grand conseil… Il ne se réunira qu’à la nuit tombée. En attendant, tu dois rester avec moi.

Et je suis restée avec lui, mais il ne m’a pas dit un mot. Il est allé au village en courant – et courant vite -, en est revenu, laissant ce Gii me surveiller. Quand il a repris son poste d’observation, il semblait m’avoir oublié. Disparu l’hospitalité… J’étais soudain devenue l’étrangère. N’ayant rien à faire d’autre, je m’allongeais de nouveau, au pied de son point d’observation cette fois, et me rendormis… On verrait bien ce soir.
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