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III. Dans l'eau de la claire fontaine

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III. Dans l'eau de la claire fontaine Empty III. Dans l'eau de la claire fontaine

Message  Darla Mer 18 Nov - 21:18

L’arrivée au village ne fut certes pas des plus faciles, et il fallut toute la capacité de persuasion de Saul pour éviter l’émeute. Ils voulaient tous brûler le Morphut, et sans aucun doute moi avec… C’est alors que les écureuils intervinrent, et le fait qu’ils décidèrent de se dévoiler à une étrangère et au Morphut leur fit comprendre l’importance de l’évènement et ils se plièrent, bon gré mal gré, à la loi.

Quelques mois après Saul et Elia se marièrent, quatre mois seulement après elle mit au monde leur premier enfant… Leur rythme de vie était beaucoup plus rapide que tout ce que j’avais connu, vivre vingt-cinq ans pour eux relevaient de l’exploit de bonne santé… Leur mémoire s’estompait à la même vitesse que leurs rides apparaissaient, dans un processus de vieillissement actif. Aussi le Morphut finit-il par entrer rapidement dans la vie du village, aidant aux champs, portant de lourds fardeaux… Cela fit voir d’un autre œil les arbres de la forêt, et jamais les écureuils ne furent écoutés avec autant d’attention. Tout semblait pour le mieux… Je finis même par être officiellement invitée à participer au conseil présidé par le patriarche, et dans lequel Saul semblait avoir une part active. Mais je déclinais l’invitation, me sentant un peu en « vacances » ici, et ne souhaitant pas interférer avec leurs affaires internes. Mais nul doute que cela était le signe que le Morphut et moi étions réellement inclus dans la vie du village – malgré nos différences : lui arbre géant, moi inconnue à l’apparence éternellement jeune.

Avec le Morphut, nous avions quelques habitudes. Nous nous promenions dans la forêt, ou partions en longues excursions de quelques jours, pour découvrir les environs, tout en évitant les grandes villes où le Morphut auraient sans doute fini en feu de joie.... Cependant ces excursions étaient rares, tant nous étions devenus nécessaires à la ferme et à la vie du village. Quand il s’agissait de faire des sillons dans la terre, de réparer une maison qui avait subi un incendie, de construire une maison pour les nouveaux mariés ou une petite mairie – bref, pour n’importe quelle occupation demandant de la force et de l’agilité, nous étions réclamés. Le Morphut ne semblait pas des plus heureux, mais pour moi c’était un rêve. Ces petits travaux manuels libéraient mon esprit et me faisaient sentir de plus en plus sereine, heureuse. Oui, simplement heureuse. Pourtant, quand cela était possible, le soir, nous allions dans un endroit bien précis, une petite rivière inconnue de tous, assez éloignés de l’orée du bois, où lui s’abreuvait et moi me baignais, profitant de pouvoir prendre ma forme naturelle pour une toute petite heure de bonheur… Je laissais l’eau s’infiltrer entre chaque feuille, caresser mon écorce… Je changeais de forme à volonté, tantôt humaine, tantôt alligator ou oiseau-poisson, bien triste de ne pouvoir prendre toutes mes formes marines… Mais c’était déjà un bonheur de pouvoir laisser mes chairs se réjouir, les laissant prendre la forme qu’elles désiraient, exultées par le pouvoir qu’elles sentaient à l’œuvre dans la forêt. Je les sentais changer sous ma peau tantôt écailles, tantôt soie, je sentais mes muscles se contracter, s’étendre, tout mon corps était mouvement, mutation, laissant un frisson intérieur d’intense plaisir. C’était là un instant d’infini bonheur, que le Morphut veillait du haut de sa frondaison.

Mais un soir, alors qu’Elia finissait de sevrer son troisième enfant, tout ne se passa pas tout à fait comme prévu… Un pas grand-chose, une sensation qui me fit me retourner, une impression désagréable…

Alors que je me baignais, sereine, mes vêtements accrochés dans les branches du Morphut, changeant de forme à mon gré, je fus mise en alerte par un bruit de branche cassée. Qui donc pouvait s’aventurer si loin dans la forêt ? Je fis comme si je n’avais rien perçu, mais mon cœur battait la chamade… Si l’intrus venait d’arriver, il ne m’avait peut-être pas vu autrement qu’en humaine… Mais sous cette forme jamais je n’oserai sortir de l’eau !

Je sentis la panique embrouiller mes pensées – comment régler cette situation ? Je n’avais pas le choix… J’entendais maintenant des chuchotements tout prêt, si prêt… Je me retournai brusquement et surpris deux garçons, la capuche abaissée, en train de finir de chiper mes vêtements sur les branches d’un Morphut profondément endormi.

- Hey là !

Ils s’arrêtèrent net, figés sur place. Avant qu’ils n’aient l’idée de s’enfuir en courant, je sortais de l’eau, aussi nue qu’un vers – et c’est à peine si je les entendais respirer, alors que je luttais férocement contre moi-même pour ne pas avoir l’air gênée par la situation, mais au contraire très à l’aise. Cependant, le fait qu’ils soient les premiers à me voir nue depuis ma petite enfance ne me rendait pas, de base, des plus indulgentes à leur égard. J’arrivais devant eux, en quelques secondes à peine, et ma surprise fut grande de me retrouver face à la pointe d’une épée. L’un d’eux me menaçait ! Cela ne m’effrayait guère, mais c’était la première fois que quelque chose de ce genre arrivait depuis mon excursion dans la forêt des Dryades…

- Qui êtes vous, et que voulez-vous ?

- Toi, que veux-tu, plutôt ?

Cette voix… Il abaissa son capuchon, et je reconnus le fils du patriarche, celui-là même qui était désigné par les hommes comme le futur dirigeant du village – contre l’avis des écureuils qui lui préféraient Saul. Il lança un regard à l’autre qui partit en courant – sans doute au village. Je ne le retins pas.

- Enrik ? Que me veux-tu ? Rends-moi mes vêtements.

Ma dernière phrase n’était pas une demande, et tandis que je tendais la main pour appuyer mon ordre, il fit avancer la lame contre ma gorge, jusqu’à ce que je sente le froid sur ma peau…

- Crois-tu vraiment pouvoir me faire peur ?

- Je t’ai vu te transformer. Tu n’es pas comme nous… Tu es un démon ! Je vais le dire à mon père et aux autres… Ils vont te chasser, toi et le Morphut !

- Allons allons. Sois sérieux Enrik. Qui te croira ? Ce sera ta parole contre la mienne. Et que fais-tu au village d’utile qui fera de toi quelqu’un de plus important que moi ?

- Je suis au conseil. Et toi tu n’y es pas ! Tu laisses Saul parler à ta place. Tu veux le voir comme chef à ma place !

- Tu dis n’importe quoi. N’as-tu donc pas entendu ce que j’ai dit au conseil ? Je ne souhaite pas siéger parce que je viens de loin, et que je ne souhaite pas interférer dans vos affaires. C’est votre terre, vos coutumes. Moi je reste là en étrangère…

- Et tu crois qu’on va te croire ?

Il fit un pas en avant et j’en fis un en arrière. Je tenais à lui faire croire qu’il avait le dessus, pour voir tout ce qu’il me voulait exactement.

- Pourquoi non ? Est-ce que mes actions révèlent autre chose que mes paroles ?

Il marqua un temps, hésitant. Il ne pouvait empêcher ses yeux d’effleurer mon corps, ce que je feignais de ne pas voir. Mais sa lame descendit doucement jusqu’à mon cœur. Il semblait vraiment penser qu’il était plus fort que moi !

- Il y a un moyen pour régler ce conflit…

- Ce conflit ? Quel conflit ? Il n’y a que toi qui en vois un ! Mais dis toujours…

Je me doutais bien ce qu’il allait me proposer, mais par orgueil personnel, j’avais envie de l’entendre.

- Epouse-moi ! Ainsi, nos enfants seront beaux et forts, et notre descendance règnera sur le village pendant des siècles.

J’explosai de rire – je m’attendais à bien des choses mais pas à ça. J’écartai l’épée mal tenue de la main et fit un pas vers lui pour récupérer mes vêtements qu’il tenait toujours en main… Mais lui, rougissant sous l’affront, fut pris de colère et se rua sur moi, le souffle court. Je mis quelques secondes à réagir alors que ses mains, son souffle s’abattaient sur moi sans pudeur. Je restais d’abord tétanisée, profondément choquée. Etait-ce possible ? Que voulait-il faire ? Comment osait-il ? Mes pensées soudain se brouillèrent, honte et rage mélangées me firent monter les larmes aux yeux. Je le frappai. Une fois. Deux fois. Il tomba à la renverse, et je me mis au-dessus de lui, à califourchon pour le maintenir au sol. Je frappai encore et encore, sans retenue, outragée, humiliée, enragée.

Ce fut la sensation d’un contact sur mon épaule qui m’arrêta. Le Morphut me regardait avec peine. Sous moi, Enrik était mort, le visage complètement méconnaissable. Je lui avais broyé la tête avec l’étau de mes poings de haine. Je me redressai, m’écartai un peu, complètement déboussolée. Comment j’eus l’idée de laver mes mains et mon visage à la rivière, comment je pus me rhabiller, je n’en sais rien – mais je le fis. Puis je portai Enrik dans mes bras. Il me fallait assumer, porter le poids du deuil sur mes épaules. Ma propre réaction me faisait frissonner. Souvent j’avais répondu avec les poings, mais jamais une telle violence n’avait explosé en moi. C’était comme si était sorti, du fond des abysses de mon être, un démon sanguinaire et incontrôlable. Je me faisais peur à moi-même. Qui étais-je ? Quelle était cette nouvelle folie au fond de moi ? Quelle haine cachée, trop longtemps contrainte, avait été mise à jour par l’agression de Enrik ? Qui étais-je…

Je rencontrai les autres à l’orée de la forêt. Le large cercle se fit devant moi, dans un silence de mort. Je posais le corps inerte devant le patriarche. Tous me regardaient avec crainte et terreur. Déjà, je le pressentais, il n’y aurait pas de punition, pas de sanction. Ils n’oseraient pas. C’est Elia, la première, qui donna l’impulsion qui allait tout gâcher.

Elle posa les genoux à terre et se prosterna devant moi.

- Le fils d’un homme t’a agressée et tu l’as puni. Nous te supplions de ne pas étendre ta colère à tout le reste du village. Nous savons tout ce que nous te devons. Tu as fait signer la paix avec les dryades, tu fais prospérer le village. Tu es venue comme une étrangère, mais nous t’avons reconnue. Nous n’avons rien dit, respectant ton souhait. A cause du fils du chef, tu as dû mettre à jour ta divinité, sœur de Hérault le bienfaisant. Pardonne-nous…

Je regardai Saul du regard. Mais celui-ci s’était prosterné comme les autres. J’étais seule. Qu’était cette farce ? D’un geste un peu brusque, je relevai Elia.

- Mais enfin, que dis-tu Elia ? Ne te rappelles-tu pas les confidences échangées le soir ? N’as-tu pas vu que j’étais humaine, comme toi ?

- Oui, dit-elle, les yeux baissés en signe de respect. Vous m’avez accordée la Grâce d’être à mes côtés, Vous m’avez honorée entre tous. Comment pourrais-je jamais vous remercier de cette Grâce ?

Je la lâchais, presque dégoutée. J’étais en colère. En colère contre moi, en colère contre ces imbéciles ! Je tremblais de tout mon être, toutes mes fibres étaient révulsées. Mais de quoi ? A ma grande surprise, Elia posa la main sur mon bras et approcha la bouche de mon oreille, tandis que nul n’osait nous regarder :

- C’est tout ce que j’ai trouvé, Darla, pour t’éviter la mort, et celle de mon mari. C’était un coup monté d’Enrik – comment le saurais-tu, toi qui reste loin de toute course de pouvoir ? Il en est mort, il n’y a pas de regret à avoir. Mais tu dois reconnaître ta divinité…

Les mots résonnaient en moi. Alors ici aussi le fruit était pourri ? J’avais envie de partir, fuir, mais je me rappelais du rire d’Elia, l’aide de Saul, du babil de leurs enfants. Pouvais-je les abandonner ? Je me retrouvais au pied du mur – manipulée peut-être sans le savoir. Ah ! Si je n’avais pas fui les obligations du conseil, peut-être tout cela n’aurait-il pas eu lieu ! Mais il était trop tard maintenant pour regretter – il me fallait agir.

- Merci, Elia, dis-je d’une voix forte. Tu as reconnu ma véritable identité, entre toute je te bénirai, et je bénirai tes enfants, pour cela. Relevez-vous ! Tous !

Je me dirigeai vers le patriarche pour le relever. J’aurais aimé voir de la haine dans son regard, mais il n’y avait que crainte et tristesse. J’aurais aimé me confondre en excuses, implorer sa grâce… Mais cela aurait fait d’autres victimes.

- Relève-toi. Ton fils a connu le crime irréparable de vouloir me toucher. Il l’a payé de sa vie. Mais ma colère est juste et ne concerne que le coupable. Tu es un homme sage et honorable, tu n’auras pas à subir la punition.

Je me donnais envie de vomir.

- Mon identité est révélée, mais je souhaite rester encore quelques temps parmi vous.

Je passai parmi les villageois, suivie du Morphut qui semblait perplexe. Ce soir-là, je m’endormis dans ses branches, nostalgique d’un temps où Zork me protégeait. Mon beau rêve était gâché, et je ne savais plus qui j’étais. Au moins, j’avais sauvé Saul et sa famille… Saul qui remplaça le patriarche quand il mourut, quelques jours après, de chagrin. Avais-je été manipulée par Elia ? Pourquoi Enrik était venu me voir à la rivière ? Comment avait-il su ? Je préférais ne jamais le savoir, et n’enquêtais jamais à ce sujet. Heureux les simples d’esprit, avait dit quelqu’un sur une ombre lointaine…
Darla
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