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Chapitre 2 : Un enfant, ou presque (La Roue de Fortune)

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Message  Sance Dim 15 Nov - 11:10

Un jeune homme roux regarde le spectateur avec un mélange curieux de doute et d'audace. Ses yeux verts brillent d'un éclat intense difficile à soutenir. La beauté de ses traits est malheureusement marquée par la dureté qu'engendrent les privations et on peut lire sur son visage la détermination de ceux qui n'ont rien à perdre. Vêtu d'habits de toile grossière et élimée, il se tient devant une cité endormie sur des eaux obscures. A sa ceinture luit la lame d'une dague.

"Un voleur ? Non... pas un simple voleur. Il... Il me regarde un peu comme vous... quand vous me dessinez. Vous avez de la pitié pour lui.
- Oui, Béryl. Ce n'est pas un simple voleur, bien que je l'aie connu dans cet état. J'espère qu'il a pu échapper à son sort. Je lui dois la vie."


Chapitre 2 : Un enfant, ou presque (La Roue de Fortune) Ch2_sm10




Combien de jours, combien de nuits, dans ce labyrinthe de nulle part ? Combien de temps un esprit pouvait-il rester privé de repos, seul face à lui-même, dans cette spirale vide sans rien pour retenir sa raison ? Etait-il un fou convaincu d'être piégé dans le reflet d'un miroir, ou le reflet d'un miroir assez fou pour avoir cru, un jour, être un véritable homme ?

Les premiers temps, un homme était venu parfois se contempler dans le miroir. Cet homme ressemblait bien à Sance, mais ses pupilles fiévreuses, ses cernes bleuâtres, sa peau luisante témoignaient trop bien qu'un autre guidait les pas de ce corps qui avait été le sien. Oui, au début, Elathan avait nargué Sance, car il était bien trop fier de son piège pour savourer sa victoire en silence. Il lui avait décrit les pouvoirs du cadeau d'Eirinn, l'Anneau des Brumes, capable de rendre imprévoyants les hommes les plus sages. Il avait détaillé les ruses de sa femme pour convaincre Sance de la vérité de son amour. Et souvent, Elathan avait exhibé ses mains gantées devant le miroir avec un contentement certain : "Si je touchais ce cadre à mains nues, tu essaierais immédiatement de reprendre ta place. Je ne te ferai pas ce plaisir de sitôt..."

Comme Sance haïssait ces monologues qu'il lui fallait écouter sans pouvoir blesser, sans pouvoir hurler, sans pouvoir pleurer ! Et comme il détestait ces deux êtres qui, sans la moindre hésitation, l'avaient privé de lui-même. Elathan, passait encore, mais Eirinn, cette chère Eirinn, traîtresse et menteuse... Sance s'abandonnait alors à l'ivresse d'une colère impossible à assouvir.

Les apparitions d'Elathan s'espacèrent. L'air plus soucieux, avec une mauvaise ride au coin des lèvres, les joues creusées, le double de Sance venait parfois scruter le miroir comme pour s'assurer de l'efficacité de sa prison. Mais il ne parlait plus à Sance, ne le regardait plus vraiment. Sance avait cessé d'exister pour Elathan. Autant dire pour lui-même.

Sance avait appris à percevoir le moindre détail de sa prison-miroir, ses frontières grises, ses contours ciselés et ses aspérités subtiles, mais à quoi cela lui servait-il ? Haine, rage, mais surtout désespoir restaient ses seules nourritures, dans cette parodie de vie sans sommeil et sans couleur où même le temps avait disparu. Jusqu'au moment où ses geôliers le laisseraient retrouver un corps si usé qu'il refuserait d'accueillir l'esprit d'un Sance en révolte, et mourrait de tant de chagrin amassé. Il aurait donc fait tout ce chemin parmi les ombres pour... mourir ainsi ?

.oOo.

Le voler, vite. Zantche lui paierait son contrat, d'une manière ou d'une autre. Il pourrait facilement le revendre, et à un bon prix en plus, sinon pourquoi Zantche le cacherait-il ? Sortir, s'enfuir avant d'être pris, la porte, l'escalier, la rue, un marché, une autre rue, vite, vite !

Depuis dix minutes, Sance n'osait plus penser. Quelqu'un s'était saisi du miroir. A mains nues. Il l'avait caché contre sa poitrine. Ce n'était ni Elathan, ni Eirinn. Et Sance n'avait aucun mal à voir par les yeux de cet inconnu qui l'emportait loin de la chambre d'Eirinn, il sentait l'air frais du petit matin dans les poumons de l'adolescent... Celui-ci s'arrêta au fond d'une impasse pour reprendre son souffle. Encore un regard pour vérifier qu'il était seul, puis il tira le miroir de ses guenilles.

Libre ! Enfin libre ! Tout Sance se réduisait à ce simple mot. Jaillissant du miroir, il s'élança vers l'esprit de l'adolescent, prêt à tout pour conquérir un nouveau corps, même si... "C'est quoi c'truc ?" Un éclair avait renvoyé Sance, étourdi, dans sa prison d'argent. Son libérateur inconnu avait lâché le miroir, et adossé au mur, il contemplait avec méfiance l'objet tombé sur les pavés inégaux de la rue. Mais après quelques minutes, la fatigue et la faim l'emportèrent sur la peur. L'adolescent aux cheveux roux reprit le cadre dans ses mains et contempla son reflet.

Il ne fallait pas le brusquer. Ce n'était qu'un maraudeur à peine sorti de l'enfance, mais il savait déjà se défendre contre des attaques mentales. Prudence. Et de tout façon, Sance ne voulait pas vivre dans la peau d'un ombrien inconnu, mais bien retrouver le corps qu'on lui avait volé !
"Je sais que tu m'entends, jeune homme.
- Putain. Qui... qui est là ?
lança le garçon, effaré par la voix qui résonnait dans son crane.
- Je suis l'esprit de ce miroir. Un génie emprisonné par l'homme que tu as volé." A quoi bon lui dire toute la vérité ? "Et toi, qui es-tu ?
- Un... génie ? Fallait qu'ça tombe sur moi."
L'adolescent éclata d'un rire plein d'amertume. "Qui ch'uis ? Si j'le savais !" Il haussa les épaules. "Allez, j'te la fais courte, mon génie. J'm'appelle Vilman." Suivit le bref silence d'une lutte intérieure, puis, faiblement, comme s'il parlait dans un rêve : "Vilman d'Ocagne, si ça veut encore dire que'qu'chose dans c'putain d'monde."

Presque malgré lui, Sance percevait derrière ces paroles à l'accent chantant les échos de lointains souvenirs, les remords d'un amour impossible, les nuits de faim et de désespoir, la lutte continuelle dans les bas-fonds de Maremme -- et au-delà, la pulsation d'un esprit complexe, l'aura de Vilman, où se mêlaient des puissances difficiles à identifier. Un bien étrange voleur en vérité. Mais un voleur ordinaire aurait-il pu duper Elathan ? Sance reprit :
"Vilman d'Ocagne, tu as dérobé ce miroir pour te venger de Zantche. Ne t'inquiète pas, je ne vais pas te dénoncer." Comment aurait-il fait d'ailleurs ?
"Oui." avoua Vilman avec le ton d'un enfant penaud. "Y voulait pas m'payer, alors que je l'ai bien amoché, son type, comme il le voulait. D'te façon, on m'avait prévenu, Zantche, c'est qu'un enfoiré de première. Tout l'monde le connaît à Maremme... J'aurais dû l'buter plutôt."
Tuer Zanche ? Certainement pas ! Sance continua en apaisant Vilman:
"Je connais une manière bien meilleure de te venger, et qui le fera souffrir bien plus.
- Vraiment ?"
Pour la première fois, l'espoir apparut sur le visage de Vilman. "Et comment t'vas nous faire ça, mon génie ?"

.oOo.

Comme souvent à la fin de l'automne, un brouillard épais avait envahi les canaux et les rues de Maremme dès la nuit tombée. Elathan était mécontent. Il n'avait pas pris garde à l'heure, trop absorbé par ses affaires. Heureusement, leur demeure n'était plus qu'à deux ou trois ponts d'ici. Il fallait tourner à gauche, puis à droite. Il pressa le pas. Comment allait-il expliquer à Eirinn ? Un client qui avait demandé plus que prévu et qui...

Elathan s'effondra sans même un gémissement. Un gourdin enveloppé de gros drap s'était abattu sur son crâne d'un coup sec, précis. Surgissant du recoin où il s'était caché, Vilman arbora un sourire narquois en murmurant : "Surprise surprise, Zantche de mon coeur !" Il s'agenouilla, sortit le miroir de ses vêtements, le plaça entre les mains nues de sa victime, et s'enfuit en courant. C'était bien la première fois qu'il assommait quelqu'un pour lui donner quelque chose...

Zantche resta allongé, inconscient, pendant une dizaine de minutes. Inconscient, mais certainement pas immobile. Par moments, ses bras et ses jambes se tétanisaient, sa respiration s'accélérait selon un rythme désordonné, puis il replongeait dans l'immobilité. Une dernière secousse plus violente que les autres, et il finit par ouvrir les paupières. Un temps. L'homme se leva lentement, comme un malade resté trop longtemps dans son lit, et rangea dans sa poche le miroir qu'il tenait toujours. Encore étourdi, il marcha sans hâte jusqu'au porche d'une maison qu'une torche éclairait, afin d'admirer en détail la paume et le dos de ses mains. Un autre temps. Il finit par réaliser ce qu'il voyait, entendait, sentait, et se mit à rire comme un enfant, ou un fou, pendant de longues minutes. Une fois calmé, Sance avança jusqu'au parapet d'un pont pour s'y adosser et réfléchir.

Il était revenu parmi les hommes, battu, épuisé, mais si heureux ! Dans sa poche, une mince surface d'argent maintenait prisonnier l'esprit d'Elathan, celui qui l'avait torturé pendant toutes ces années. Il fallait quitter Maremme rapidement, sans laisser le temps à Eirinn de réagir. Sance pourrait-il retrouver Vilman à son retour ? Il y avait tellement de voleurs dans la cité des lagunes ! Mais il essaierait de revoir ce jeune homme étrange, ne serait-ce que pour le remercier et savoir qui il était...

L'homme qu'Eirinn et tout Maremme avait connu sous le nom Zantche d'Elyons secoua la tête. Pour le moment, sa sécurité importait plus que tous les Vilmans du monde. Avec la démarche absente d'un somnambule, Sance se mit en route vers le port de Maremme, encombré de navires prêts à lever l'ancre pour des îles plus clémentes.


Dernière édition par Sance le Mer 25 Nov - 10:07, édité 6 fois
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