La reine des glaces I

La Reine des Neiges


Prologue

Encore une fois, Polgara se retrouvait face à l’immensité neigeuse. C’était la même plaine blanche sous ses pieds, la même bise glaciale sur son visage. Mais elle, elle avait changé. La plaine pouvait penser qu’elle assumait le même poids, la bise pouvait s’imaginer caresser le même visage ; elles se trompaient.

***

D’où je viens, qui je suis ? Je n’en sais rien. Je suis né comme je suis aujourd’hui : déjà grand, et déjà fort. Je n’ai jamais rien connu d’autre que la neige et le froid, le blanc du sol et le bleu du ciel. Mais cela m’importe peu, car je connais aussi un visage, un visage aussi blanc que la neige, encadré par des cheveux d’un noir d’onyx. Elle est celle qui m’a faite, celle que je sers, celle que je respecte. Elle est ma mère, et je suis son esclave obéissant et aimant. Elle est Véra et je suis Olvik.

Elle se tenait droite, ignorant le vent qui fouettait son visage et son long manteau, quand la conscience m’éveilla à la vie. Je découvrais mes mains, et le fait que j’en avais, que déjà elle m’ordonna de la protéger. Je découvrais la neige et déjà je comprenais ce qu’elle me demandait. Tout en moi savait ce que signifiait le mot, et je savais que c’était pour ça qu’elle m’avait fait. Les sens aux aguets, la main posée sur ma lourde épée tenue verticalement, la pointe enfoncée dans la neige, je la vis faire.

Les bras dressés vers le ciel, les yeux fixant le vide devant elle, elle resta là si longtemps que je craignais un moment pour sa santé. Mais bientôt apparut – comme sans doute j’étais apparu auparavant – une simple auberge. Un bâtiment bas, blanc, au toit de chôme. Mais elle ne bougea pas. Toujours concentrée, elle continuait à fixer l’horizon de ses yeux d’un bleu que le ciel d’ici ne connaissait pas. Apparut alors une flèche d’or qui ne semblait vouloir s’élancer que pour percer le ciel, une flèche de cristal, élancée et translucide, un bijou dans l’écrin de la neige et du ciel.



Si dans le noir de la nuit, l’aiguille prenait une mine inquiétante, la mince lueur se dégageant de lui ayant des allures fantomatiques, il était, de jour, merveilleux de contempler les rayons de soleil rebondir allègrement sur les flèches transparentes. Cette merveille fonda en moi la conviction que ma maitresse était toute puissante et que rien ne lui était impossible. Quand il aurait fallut aux hommes des années et des années pour construire un bâtiment si élaboré et si majestueux, il lui avait fallut quelques heures. Qu’elle tombe d’épuisement ensuite dans mes bras ne lui retirait aucun mérite. Je me sentis soudain très fier et très ému de devoir veiller sur une si grande sorcière, presque une déesse. Je la portais dans mes bras comme quelque chose de léger et fragile et l’emmenais dans la première pièce de l’auberge. Aucun meuble encore n’avait été apporté, aussi je lui donnai toutes les peaux qui me couvraient pour lui confectionner un lit de fortune. Si j’avais froid, nu dans cette salle immense dans laquelle aucun feu n’avait encore été allumé, cela me paraissait de peu d’importance. Il fallait la protéger.

Nous vécûmes une semaine seuls dans cette auberge qu’elle meublait avec soin et qu’elle agrandissait de jour en jour. Si l’extérieur semblait modeste, l’intérieur était chaleureux, et les fleurs qu’elle y faisait pousser avaient des couleurs nouvelles pour mes yeux qui ne connaissaient que le blanc de la neige et le noir de ses cheveux. Il lui arrivait parfois de s’arrêter pour m’observer regarder ces merveilles fragiles et parfumées. Il semblait que, dans sa solitude, mon émerveillement d’ignorant était sa plus grande récompense.

Bientôt cependant, nous eûmes de la visite. La tour était si haute qu’on la voyait de la capitale et cette apparition soudaine intriguait et inquiétait. La reine avait envoyé deux hommes savoir ce qu’il en était. Véra les accueillit avec courtoisie. C’est alors que j’appris ce qu’elle voulait faire. Quand ils demandèrent ce qu’elle voulait, et qui elle était, elle répondit :

« Je suis Vera, envoyée par la déesse du printemps. Trop longtemps cette terre a été plongée dans l’hiver, je suis venue annoncer un nouveau cycle inéluctable. Dîtes à votre reine que son temps touche à la fin, la déesse qu’elle sert s’est endormie, je le prouverai bientôt. La prophétie est exacte, je suis là pour l’accomplir. »

Les messagers se regardèrent, mal à l’aise. Tout cela semblait les dépasser. Ils retournèrent à la ville avec un bouquet de fleurs en guise de présent et d’avertissement.

La nuit suivante, elle partit en me commandant de rester et de garder la tour. J’étais fort inquiet de devoir la laisser seule mais il me fallait obéir. Je la regardai partir vers la capitale que nous voyions depuis le sommet de la tour, mais bientôt elle disparut dans la neige…

Elle revint à l’aube, précédée d’une douce musique de flûte. Elle précédait une centaine d’enfants qui la suivaient, somnambules… Elle les emmena dans le hall principal dont je refermais la porte une fois que le dernier fut entré. Elle arrêta de jouer et les enfants se réveillèrent, inquiets de ne pas être dans leur lit. Ils étaient si nombreux ! Certains étaient tout petits, et réclamaient leurs mères en sanglotant. Mais quand ils virent soudain des tables apparaître, dans une des salles de l’auberge où elle les avait menés, pliant sous le poids de bonbons et de gâteaux de mille couleurs, aux odeurs alléchantes, les larmes cessèrent comme par enchantement. Les plus petits furent les premiers à se diriger vers cette nourriture sortie d’un rêve et qui faisait briller leurs yeux. Puis les plus grands suivirent et tous se mirent à manger de bon appétit, l’estomac creusé par cette promenade nocturne.



Alors, les enfants semblèrent oublier qu’ils n’étaient pas chez eux, ils se mirent à jouer dans toute la tour dont l’immensité semblait enfin avoir trouvé son rôle. Ce n’était plus que rires et chansons, cris joyeux et rondes enfantines. Vera regardait tout ça d’un œil attendri… Mais bientôt les enfants peu à peu perdirent toute énergie, courant moins puis s’asseyant, s’allongeant enfin pour s’endormir d’un sommeil calme, presque mortuaire. Devant mon regard étonné, Véra m’invita à s’avancer vers elle après avoir fermé la porte de la salle à double tour, étonné.

- Es-tu inquiet pour ces enfants, Olvik ?

- Non, Véra. Je ne pense pas que vous leur avez fait du mal.

Elle me sourit.

- Tu as raison, Olvik. Mais les gens de la ville ne vont pas penser cela. Il va falloir se protéger.