Hors-Série collector : Darla à la montagne - 2

"Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort", Nietzsche




Jour 26

La gorge est peu plus loin que prévue. Surtout, elle est plus haute. J'ai dû passer un palier dans l'altitude car désormais la pression est très forte. Bouger le bras pour écrire demande un effort important. Je ne peux songer à remonter la gorge dans cet état. Je dois d'abord m'habituer à cette gravité avant d'envisager d'affronter les vents qui semblent sévir là-bas. Combien de temps cela va-t-il me prendre ?

[…]

Jour 32

6 jours que je suis là, à faire mes exercices physiques contre la gravité, déjà devenue un peu plus supportable. Mais contempler toujours les mêmes murs de pierre me porte sur les nerfs. J'ai l'impression d'être dans une prison.

En même temps, ma vie n'est-elle pas une prison ? Vers quoi ou qui que mon esprit se tourne, je ne vois pas d'espoir. Les motivations des uns et des autres ne rencontrent jamais les miennes. Seule la pensée que d'autres comme moi n'ont plus que la haine comme soutien me donne la force de continuer.

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Jour 40

Je suis prête. Demain, je continue mon ascension. L'idée d'un mouvement prochain m'apaise, me rend un peu plus sereine. Mais je ne peux m'empêcher de me dire que quelque chose s'est brisé en moi. La rage est là et quoi que je fasse, qui que puisse aimer, elle restera là.

Je ne parviens plus à imaginer de monde en paix, de monde de justice. Tout me semble sombre – cela ternit même la confiance que j'ai pour Sance. Je tente de toutes mes forces de lutter contre ce nouvel état d'esprit, mais il est là, nourri par cette force en moi que je connais mal, et qui parfois me submerge dans une rage sanguinaire.

Je ne me connaissais pas, je commence à peine à me comprendre. Le repos, la quiétude ne sont pas pour moi. Je suis faite pour les luttes. Je dois accepter la part de moi qui réclame son dû de lutte et de bataille. J'ai déjà commencé. C'est là que mon corps puise la force de s'habituer à la souffrance perpétuelle. Je dois en faire de même pour mon esprit.


Jour 43

Remonter la gorge a été bien plus difficile encore que ce à quoi je m'attendais. J'ai mis trois jours pour faire 300 mètres. Je suis harassée. Tenir debout est déjà un exploit, une lutte de chaque instant. Avancer est bien pire encore !

J'en suis à la moitié, mais mes muscles me font atrocement mal. Heureusement que j'ai pu me réfugier dans cette anfractuosité de la roche, je ne sais pas si j'aurais tenu le coup. Je vais faire une pause de quelques jours avant d'entamer la seconde partie de la gorge.

[...]

Jour 50

Réussi ! Je l'ai fait !

Dormir...

[…]

Jour 53

J'ai recommencé la marche. Il commence à faire froid, mais pour l'instant c'est supportable. Je dois dire aussi que mon corps est bien moins douillet qu'auparavant. Tout comme mon âme, il s'endurcit.

[…]

Jour 57

J'ai vu des oiseaux ! Les premiers depuis que je suis dans cette ombre... Loin de me réjouir de cette découverte de la faune locale, je suis plutôt inquiète. Quelle puissance doivent-ils avoir pour surmonter si aisément l'écrasante attraction terrestre ?

Pour l'instant, ils ne m'ont pas repérée. J'espère que cela durera. Je n'ai nulle envie de finir en casse-croûte !

[…]

Jour 69

Je me suis faite repérée par les piafs. Ils ressemblent à des condors géants, en plus laids. Je ne les aime pas du tout, mais je crois que cette méfiance est réciproque : ils me surveillent à tour de rôle. Si l'un décide d'attaquer, je ne sais pas qui gagnera.

Ce qui m'inquiète, c'est que je vais devoir bientôt passer à l'escalade pure. S'ils profitaient de ce moment où je serais plus vulnérable pour m'attaquer ?

Je dois anticiper, les prendre au piège. Si je leur montre ma force avant, ils ne m'attaqueront peut-être pas. Je dois les impressionner. Mais comment ?

[…]

Jour 71

Après deux jours de chasse croisée, j'en ai eu un. La lutte a été terrible, j'ai bien cru que ses griffes allaient me planter trop profondément pour que je m'en remette. Heureusement, ces derniers temps, mes muscles ont gagné en force, et il devient moins facile de les perforer. Quoiqu'il en soit, j'en suis quitte pour quelques heures de repos régénérateur...

Je donnerai la viande à Zork, je pense que ça le changera de l'ordinaire. Encore qu'avec le Logrus, il peut prendre ce qu'il veut où il veut... Alors disons que ce sera juste pour crâner un peu !

Jour 72

Ma technique d'intimidation a visiblement échoué. Alors que j'étais à la moitié de mon escalade, l'un d'eux m'a attaquée, me déstabilisant. J'ai vraiment cru que ma dernière heure était venue ! J'ai beau être solide, je n'aurais pas survécu à une telle chute. Si l'imbécile n'était pas revenu à la charge, je ne pourrais pas écrire ces mots ce soir.

Encore que ma situation actuelle soit à peine mieux que celle qui aurait pu être. M'étant agrippée in extremis aux pattes de l'oiseau, celui-ci m'a fait violemment heurter la paroi rocheuse sans doute dans le but de fracasser mes os. Si j'en crois mes douleurs dans le dos et au niveau de mes côtes, il a dû y arriver quelque peu. Heureusement, mon corps se régénère de plus en plus vite...

Me voici dans le nid des petits dont les petits becs n'ont pas réussi à entamer ma chair pendant mon évanouissement, heureusement pour moi. J'aurais sans doute été dévorée par ces voraces à l'heure qu'il est ! Pas de chance pour eux, c'est moi qui les ai dévorés. Demain, je demanderai à Zork de m'apporter plus de nourriture que ce qu'il n'a fait jusqu'ici, ce n'est plus assez. Je m'endors avec une faim d'ogre, depuis quelques soirs.

Jour 73

Ce qui semble être la mère des enfants est revenue cette nuit, elle n'a pas été déçue. Leur méthode est en effet très pratique. Elle n'a pas survécu au second coup contre la roche. Avec le pieu que m'a fait parvenir Zork, j'ai affiché sa tête à la vue de tous ces compères, pour qu'ils y réfléchissent à deux fois avant de m'attaquer.

La pente que je dois escalader pour sortir de là est particulièrement raide, je ne peux m'y aventurer avec des ennemis dans les airs. Je commence à me dire que je vais devoir voler. Mais avec cette gravité, j'ai bien peur de m'écraser lamentablement au premier saut.

Jour 74

Les traitres se sont unis pour m'attaquer. Ils étaient trois contre moi, cette fois. Je suis salement amochée, mais qu'importe, cela me rend assez fière de me dire qu'ils s'estiment désormais trop faibles pour m'attaquer en combat singulier.

Zork commence à ne plus trop savoir quoi faire de ces amas de viande. Les plumes semblent très appréciées, en revanche, du peuple dont il aime à se faire le dieu. Tant que ça fait des heureux... Au moins, ils ne rechignent pas trop à me fournir de quoi manger, et c'est l'essentiel.

J'ai l'impression que les quantités astronomiques que j'ingurgite sont brûlées par mon corps, qui n'a pas l'air de changer en surface. Les changements se font en profondeur, invisibles mais perceptibles au toucher : ma peau est plus dure, j'ai l'impression d'être faite de pierre souple. J'aime bien.

Jour 75

Finalement, je vais rester là pour implanter mon territoire, sous mes 4 têtes d'oiseaux. Quand ils auront compris qui est le plus fort et qu'ils m'éviteront, je reprendrai l'ascension.

[...]

Jour 85

Voilà 3 jours qu'ils ne m'attaquent plus. J'ai désormais une dizaine de têtes sur les pieux, cela les tient à distance. Un d'entre eux m'a même apporté une petite bestiole en offrande. Si la tendance se confirme, je pourrais bientôt reprendre mon ascension.

Il faut que je me hâte, le froid se fait de plus en plus mordant. Je ne connais pas le cycle des saisons ici, mais s'il y a un hiver, j'aimerais ne pas le passer dans les sommets.

[...]

Jour 88

Voilà, j'ai repris l'ascension. L'escalade aurait sans doute été rude pour moi il y a un mois de cela, peut-être même impossible lors de mon arrivée dans cette ombre. Même là, j'ai senti une goutte de sueur perler sur mon front.

[...]

Jour 90
Je viens de relire mes notes, par curiosité. Celles de ces derniers jours m'effraient. Pour assurer ma survie, j'ai fait preuve de cruauté, sans même me remettre en question une seule fois. Est-ce cette part là de moi que je veux faire remonter à la surface consciente ? Je ne suis plus si sûre que ma révolte en vaille le coup...

Allons, Darla, un peu de courage ! Si je recule maintenant devant moi-même, je reculerai toujours devant autrui. Ce n'est plus comme si j'avais le choix...