CYCLE D'EWAN - V. Le frère

Cette mission et le résultat mitigé qui en ressortit – mort des otages, prise vivante du coupable, intervention avant effacement des preuves – avait décidé mes supérieurs à me laisser sur mes enquêtes et à ne plus m'embarquer en cas d'action musclée.

En outre, ma survie miraculeuse était mal vue par mon entourage. Ils m'avaient tous pensé mort. J'aurais dû être mort. Or, j'étais revenu vivant et leur avais ramené le prisonnier sur un plateau en inox, souffrant atrocement, mais vivant. Avant cette mission j'étais une curiosité biologique, maintenant je devenais un super héros ; j'avais la nette impression qu'ils pensaient avoir perdu au change.

L'idée – l'ordre formel - était que je me fasse oublier de la presse quelques temps ; on me refilait donc les missions les plus pourries possibles. La seule qui soit encore vaguement capable de réveiller mon encéphalogramme, celle du tueur à l'épée, m'intéressa quelques temps mais l'absence de toute piste finit par me lasser, et finalement mon supérieur me fit savoir qu'il me fallait restituer l'arme du crime, l'assurance de nos services refusant d'assurer la responsabilité d'un objet si précieux.

Lorsque j'eus cette information, je pensais un instant à un canular. Et pourtant. L'ordre, encore une fois, était formel. J'en conclus que Mme Barme, d'une manière ou d'une autre, arrivait toujours à ses fins. Au moins, ce serait une matinée de moins à passer ma main au-dessus d'une flamme pour observer mes réactions épidermiques.

C'est pour cette raison que je me retrouve maintenant face à cet homme que, déjà, avant même qu'il n'ouvre sa bouche, je déteste. Mr. Barme est un peu plus petit que moi et dans son regard faussement cordial il y a une lueur de haine. La même qui doit luire dans le mien, certainement

Il y a des gens qu'on ne sent pas. Sans trop savoir pourquoi, on sait qu'on ne pourra leur faire confiance que lorsque leur cervelle aura été explosée sous les coups répétés de nos poings, ou de notre haine. On a beau tenté de se raisonner, de lutter contre cet a priori, rien n'y fait. C'est viscéral. Or, Mr. Barme fait partie de ces gens. Et visiblement il doit penser la même chose de moi.

Est-ce pour sa petite barbe rousse taillée en pointe, son regard que je sens hypocrite, la force presque haineuse de sa poignée de main ? Il s'est voulu cordial au premier abord, accueillant comme doit l'être un bon hôte. Les premières secondes j'avais même pensé qu'il avait l'air sympa. Et puis il y a eu cette poignée de main, un peu trop forte, un peu trop prolongée. J'ai alors senti comme une intrusion et tout mon être s'est fermé face à cette vague impression de malaise. Cela avait fini par me provoquer un mal de crâne, qui n'avait pas disparu alors qu'il m'avait lâché la main avec un regard assassin. C'était il y a quelques secondes mais la haine que je lui voue depuis semble pluri-séculaire par sa force et son inaltérabilité.

Nous devrions parler. Lui devrait me faire l'honneur de m'accueillir, moi de présenter le sujet de ma visite. Après tout, je n'avais pas attendu plus de trente minutes dans ce salon impersonnel juste pour le haïr. Quoique ?

C'est l'arrivée de Mme Barme qui nous sauve tous deux. Elle s'avance, précédée d'un parfum musqué et élégant, et prend le bras de son frère, m'obligeant à poser les yeux sur sa petite – et si charmante - personne. De ma hauteur, j'ai une vue plongeante sur son décolleté menu mais si adorable.

- Je suis ravie que vous soyez enfin venu nous voir, Inspecteur-enquêteur.

Il y a quelque chose dans son regard qui change le temps qu'elle prononce cette phrase. Une sorte de contrariété qui vient plisser son front au blanc laiteux. Cela me met sur le qui-vive. Pourquoi ce changement ?

- Je suis venu vous remettre votre épée.

-Vous-même ? Cela est bien aimable de votre part.

- Je n'avais pas le choix, l'assurance refuse de couvrir cet objet, j'ai donc préféré en assurer moi-même la sécurité. Mais j'imagine que c'était ce que vous vouliez.

Je lui tends la boîte qu'elle a elle-même fait apporter au commissariat et dans laquelle l'arme a été déposée. Elle la prend avec un visage impénétrable, la pose sur un guéridon, l'ouvre et y jette un simple coup d'œil.

- C'est bien celle-là, je vous remercie.

Déjà, elle me raccompagne à la porte, me donne sa main à serrer que je baise, comme la première fois.

- Nous ne voulons pas vous retenir plus longtemps.

Je quitte donc la demeure, n'ayant de toutes façons pas envie de m'attarder ici. Je traverse l'allée vers le portail ouvert à distance, le franchit, et active la puce que j'ai collée sur la boîte de l'épée.

- Ce n'est pas un membre de notre famille. C'est un métamorphe. Un satané chaosien !

- Tu es sûr de toi, Bleys ?

Silence.

- Pourtant, c'est sur cette Ombre que nous ont menés nos recherches.

- Un rejeton d'Obéron est peut-être sur cette Ombre, mais ce n'est pas lui.

Nouveau silence. J'entends les bruits de pas se rapprocher du micro, le son des talons me font parier sur un mouvement de Mme Barme. Sa voix, soudain plus claire, confirme mon hypothèse.

- Dommage, je l'aimais déjà bien.

Elle ferme le clapet de la boîte dans un bruit sec qui me fait mal au tympan. Le temps que je récupère mon système auditif, tout est déjà silencieux.

Maintenant, en plus d'avoir mal au crâne, j'ai la désagréable impression d'avoir raté quelque chose sur cette conversation incompréhensible.

Je suis de très, très mauvaise humeur.