Nyx - Chapitre III

Saisei Mer 12 Mai - 12:18

Ruisselant de sueur, les poils collés sur ma peau, je secoue lentement la tête en un va et vient tel un pendule régulier. Combien de temps s'est-il passé depuis ma rencontre avec Corwin ? Quelques minutes, des heures, des siècles. Tout est si différent en son sein. J'ai revu Greshbotten, j'ai rencontré Elyva et sa fille Hycène. Mais surtout j'ai croisé Méréas, mort. C'était au second voile, il était là, suspendu dans les airs tel un fantôme éthéré. Les orbites vides, la peau séchée et d'une voix caverneuse il m'a dit :

- Nyx, renonce, fais demi-tour. Plus loin tu ne trouvera que la mort.

Je sais par ce même Méréas qu'un pas en arrière signifie la perte de celui qui traverse la Marelle. Je ne l'ai pas écouté, j'ai continué. Au troisième voile, il m'est de nouveau apparu. Vêtu d'une longue robe noire de lin, affairé derrière une table couverte de fioles, d'alambics et divers composants. Il était tel que dans mon souvenir. Il leva la tête et me dit :

- Nyx, sais-tu réellement qui tu es ? qui je suis ? qui sommes nous ?

Je ne compris pas et ne comprends toujours pas, j'ai continué. Chaque pas m'apportait son lot de vision, chaque avancée son lot de prédictions. Vraies, fausses, semi-véridiques.
Je ne devais pas être ici, j'aurais du être détruit, ce qui aurait été ma délivrance, et pourtant petit à petit je me rapprochais du centre. Mon maître à gagner son héritage en la traversant, j'y gagnerais la vie, si j'y parviens.
Ma tête me tournait, nausées, douleur. J'accédais à la dernière courbe quant je le vis au coin de la Marelle. Il me regardait de son regard pénétrant et je crois qu'à ce moment, ce n'était plus la Marelle mais lui que je devais surmonter. Je pouvais deviner sa bosse sous ses haillons, cheveux sales et en désordre, on aurait dis qu'il venait de traverser les âges. Ce qui, ma foi, devait être vrai. La dernière courbe, la dernière illusion. Dworkin me héla :

- Ohé, penses à rappeler à ton maître de venir finir sa formation. J'ai besoin qu'on balaie mon sol.

- Il est mort, lui hurlais-je

- Oh ? Et bien dis le à son cadavre.

Et il disparu avec un large sourire. Pauvre fou.
Son cadavre ? Si seulement j'avais pu le retrouver.

C'est fait, je suis au centre. J'ai le pouvoir de me transporter où je le désire, bien au delà d'une simple ombre. Mon souhait et il sera exaucer. Je secoue lentement la tête en un va et vient tel un pendule régulier.
Mais je n'ai pas prévu de destination, en réalité, je n'ai pas prévu de réussir l'épreuve.
Que faire ? ou aller ? Son cadavre, pourquoi pas ?
"Améne moi près de Méréas" pensé-je. Rien.
"Rends moi vers le cadavre de Méréas." Rien.
Je m'en doutais fortement, mais je voulais essayer. Un lieu, rien qu'un lieu, à défaut une personne vivante mais c'est comme si je lui demande de m'amener vers un cailloux. Quel cailloux, quelle ombre ? La demande est faussée et la Marelle ne peut me satisfaire.
Ou alors son corps est abandonné dans un lieu inaccessible, là où personne ne peut le trouver: l'abysse.
Je frissonne à l'idée de m'être envoyé là bas.
Dois-je continuer ? En me ramenant du passé, mon maître m'a ouvert à la conscience, au savoir, aux mystères et secrets. Et si j'étais resté chat, je serais mort depuis belle lurette. Mais je suis Nyx.

Je me remémore les endroits et les gens que nous avons rencontré, lui et moi, depuis sa première traversée. Tant de choses, tant de visages mais aucun amical. Peut être Dworkin, mais il est fou et se moque bien de la mort de mon maître. Mhyn ? Oui bien sur !
"Mène moi à Mhyn." Rien, de nouveau. Ou elle se fout de moi, ou son pouvoir est des plus limités. L'un ou l'autre, je n'ai que mépris pour elle désormais. Car c'est bien elle qui est l'origine de la perte de mon maître. Je décide alors d'effectuer un pèlerinage que lui même voulu faire plus tard. La terre de ses origines, la cité de son père : Ambre.

Mot magique et emprunt de pouvoir. Même celui qui ne connait pas la cité première frissonne en prononçant son nom. Ambre.
Un tourbillon, des images floues, je reconnais un transport magique. Ma vision revient rapidement et je ne suis plus sur la Marelle. Ambre. Le mot est si puissant qu'elle a traduit ma pensée pour un ordre et m'y a amené. Enfin pas tout à fait. Des arbres à perte de vue, une forêt profonde et luxuriante. Je la reconnais pour être déjà aller : Arden. Le pouvoir de la Marelle de Corwin s'arrête ici. Je souris à l'idée qu'elle m'y a transporté à contre coeur. Je pénètre le sous bois d'un pas léger et rapide. Il ne me faut pas attendre une demi heure pour voir une patrouille arriver et fouiller les environs. Nul doute que le prince Julian possède les moyens de protéger son domaine. Mais je ne suis qu'un chat et après quelques heures et un court repos, j'arrive au plus profond de la forêt. Quiconque ne possédant pas les sens aiguisés des animaux se serait perdu. Quelque animal ne possédant pas l'intelligence développée n'aurait aucune envie de sortir de ces bois. Mais je ne suis pas quiconque et ne suis pas n'importe quel animal.

Je sors du bois après deux jours de marche forcée. Je n'ai pris que très peu de repos et à peine mangé. Je pousse mes forces pour atteindre le pied du Kolvir le plus rapidement possible.
Je traverse la vallée de Garnath et longe la mer. Je ne croise que peu de gens, anormal pour une région censée être si populaire. Les quelques badauds que je surprends parlent d'une contagion, d'une cité sous marine, Rebma et d'une quarantaine. Je commence à mieux comprendre. J'arrive non loin du Kolvir. Je ne le gravirais pas car ma destination est la cité d'Ambre et non les nuages. Réfugié dans une petite ouverture rocheuse, je prends enfin un repos mérité. Quelques musaraignes m'offrent un repas reconstituant et la tranquillité de l'endroit me permet de dormir sur mes deux oreilles. Je passe une journée entière à me refaire une santé. Ambre, je la sens proche.

J'arrive enfin à destination mais ce n'est pas la luxuriante et vivante cité des légendes mais plutôt une ville morte. Portes fermées, barrières closes. La maladie règne dans les bas quartiers et le port. Le château est interdit pour la populace. Je tourne et veille, écoute ce qu'il se dit, espionne et répertorie.
Après plusieurs jours, je connais la cité, les principaux quartiers, les principales rues. Suis-je exposé à cette étrange maladie ? Il semblerait que non, je ne ressens aucun symptôme, pas même un petit maux de tête ou un simple reniflement.

Il me faut plusieurs heures pour trouver une faille afin de pénétrer le château. Quasi désert, je n'ai aucun mal à m'y faufiler et le visiter.
Vaste, riche, je comprends l'attachement que peuvent avoir les princes à cet endroit. Ce n'est pas la pierre, ni la richesse, ni même les confortables fauteuils. On sent ici une atmosphère indescriptible. Une Marelle existe dans les sous sols, mais ce n'est pas mon but. Je me rends compte aujourd'hui que mon seul désir est de venger la mort de mon père et c'est ici que je trouverais l'outil de ma vendetta.