Mhyn - Chapitre III

Des mouvements à l’extérieur se font percevoir, quelques hommes d’armes ont été réveillés en sursaut, une alerte a été lancée. Mais cela je ne le sais pas encore. L’incantateur n’as pas été si stupide et jamais je ne me serais douté d’une alarme.

Sans prendre conscience de ce qu’il se passe au dehors, je descends quatre à quatre les volées de marches qui me conduisent à une petite salle sombre sans éclairage. Mes yeux, habitués à l’obscurité, et la lueur provenant de la cuisine m’indiquent deux lanternes à huile que je m’empresse d’allumer. La lumière envahit la pièce ainsi qu’une odeur d’huile de vidange brulée. Par soucis d’économie, les lampes ont été remplies d’un combustible trop bon marché et de qualité très médiocre. Une table cironnée, des menottes reposent dessus, une vieille armoire et deux chaises neuves qui se démarquent de l’endroit. Les anciennes n’ont-elles pas résistées au précédent interrogatoire ?

Le sol est parsemé de tâches de sang séchés. La pièce respire la mort. Je ne mets pas longtemps à trouver ce que je suis venu chercher. Dans un recoin, une cage dans laquelle se trouve un homme décharné affecté par une malnutrition quotidienne dont la peau bleutée sous les coups me donne un haut le cœur. Je déverrouille le loquet de la porte en acier et soulève l’homme qui ne pèse désormais pas plus qu’une plume. Je sens ses os à travers mes gants, des larmes me montent aux yeux. Il ne réagit pas, gémissant à peine. Des bruits dans les escaliers, les gardes surement. Mais ils arrivent trop tard.

Trop tard, peut-être suis-je arrivé trop tard moi aussi, je n’entends plus la respiration de mon fardeau. Pas le temps d’un examen médical, je sors de ma bourse un jeu de carte, j’en choisis une et range le reste du paquet. Les bruits d’armures se font proches, les voix aussi. Je lève la carte au niveau de mon regard. Un homme y est dessiné, grand, cheveux noirs, yeux bleus. Il porte une cotte de maille blanche émaillée. Il est mon modèle, mon père. Le contact s’effectue rapidement, il m’accorde un léger sourire puis voyant mon fardeau me tend la main. Kyba disparait derrière moi laissant aux gardes une pièce vide d’intrus et de prisonnier.

Je m’effondre en arrivant, le stress s’évacue et laisse place à une fatigue profonde et non feinte. Julian, mon père et prince d’Ambre de surcroit lance quelques ordres à des gens que je ne vois pas tant mes yeux se ferment d’eux même. J’entends vaguement qu’il ordonne un médecin, de la nourriture et une couche fraîche. Je sens ses bras musclés et pourtant plein de douceur me soulever et me déposer quelques instants après sur un drap propre. Il retire mes bottes et me laisse sombrer dans le sommeil.

Le noir, absolu, infini, je suis seule dans le néant. Une tâche blanche apparait et se précipite vers moi tout en se transformant en un magnifique équidé doté d’une corne argenté sur le front. Je me réveille en sursaut. Ce n’est pas la première fois que je rêve de la Licorne, souvent après une journée stressante. J’ai longtemps cherché la signification de cet onirisme.

Mes yeux me renvoient l’image d’une pièce aux décorations fines et chaleureuses. Le soleil perce à travers les persiennes et envahi la chambre que je reconnais immédiatement. Ma chambre, dans la demeure de mon père en Arden. Fidèle des lieux, je me dirige directement vers la cuisine où je trouve Julian attablé avec un de ses lieutenants. L’homme se lève pour me saluer puis prend congé exhaussant le souhait de mon père avant même qu’il ne l’ait exprimé. Une qualité que mon père sait récompenser. Il m’embrasse tendrement sur la joue et s’inquiète de ma santé. Après l’avoir rassuré, il va droit au but, autre qualité qu’il aime chez lui-même mais surtout chez les autres.

- Alors qui est cet homme ?
- Comment-va-t-il ? demandais-je.
- Hum… longue pause ponctuant mon impolitesse.
- Son nom est Méréas, il est ambrien, du moins je le crois sans en être sûr. Je l’ai rencontré il y a des années sur l’ombre Terre, nous nous sommes aimés. J’ignorais alors son passé. Ce n’est qu’après l’avoir revu près de 75 années passées toujours aussi jeune que le doute s’est initié.
-Quoi de plus normal, les habitants de cette ombre dépassent rarement les 90 ans. As-tu trouvé quoi que ce soit ?
-Non, il est issu d’un vieux village rétiré de la civilisation, Greshbotten en Transylvanie. Ca ne te dis rien ?

Un mouvement rapide de la tête en guise de réponse négative. Je poursuis :
- Quoiqu’il en soit il ne savait rien de son passé. Bien sûr je ne l’ai pas interrogée moi-même, 75 ans après il m’aurait questionné également sur ma jeunesse éternelle. Mais je suis à peu près sur de cela. Bref, je le surveillais de loin lors de mes visites à ma tante Flora qui n’étaient donc qu’un prétexte jusqu’à ce que je reçoive un message.
- Un message ?
- Oui un simple parchemin me disant que Méréas était prisonnier, sans plus. Après une longue et fastidieuse enquête je finis par savoir où, dans la forteresse de Kyba sur l’ombre Frennes.
- Je connais Frennes, une ombre secondaire du cercle d’Or, peu d’importance commerciale ou militaire. Je crois même qu’elle a fini par prendre son indépendance, grand mal lui fasse.
- J’y suis alléeet ce n’est qu’après l’avoir récupéré que je t’ai contacté, voilà, tu sais à peu près tout.
- Ton Méréas est mort cette nuit, il n’a pas résisté à ses blessures.

Mort ? Non impossible, il ne peut pas. Comment ? pourquoi ? une immense tristesse m’envahie bientôt submergé par un désir de vengeance implacable.

- Je sens ton désarroi Mhyn mais calme-toi.
- Me calmer ? Il s’agit d’un meurtre, pas d’un habitant d’ombre mais d’un héritier d’Ambre.
- Tu m’as dis toi-même ne pas être sur de son héritage. Mais je pense comme toi.
- Et sur quoi t’appuie-tu ? J’essaie de retrouver ma maîtrise.
- Ton Méréas, celui que tu as ramené est mort mais il n’était qu’une ombre.
- Une ombre ? dis-je stupéfaite.
- Disons simplement que son corps a perdu tout consistance une fois le dernier souffle rendu, j’ai déjà vu des ombres finir ainsi. La question est : qui et pourquoi capturer une ombre d’un Ambrien non reconnu ?

Je sais d’expérience que Julian avait déjà la réponse à sa question. Elle me parait évidente aussi. Quelqu’un connait mon attachement à Méréas et sait que j’affronterais les enfers pour le sauver. Donc c’était bien un piège. Mais dans quel but et pourquoi ? La liste de mes ennemis se fait dans ma tête et elle est nombreuse. Même en la restreignant à ceux possédant assez de pouvoirs pour jouer ce tour, elle reste longue. Trouver mon ennemi risque d’être ardu mais avant tout trouver Méréas, le vrai.