Mhyn - Chapitre IV

Je suis en sueur. Ma foulée m'a emmenée plus loin que je ne l'avais escompté mais, perdue dans mes pensées, je me suis laissée entraînée par mon propre rythme. Je relève la tête et ne reconnait pas l’endroit. Intriguée, j’effectue quelques pas, passe une colline arborée, et atteint un petit lac inconnu mais au charme captivant. Ambiance bucolique, la lumière chaude et feutrée transparait à travers les branches de saules gigantesques ancrés sur les berges. La température est agréable et visiblement seule, je me dévêts et plonge la tête la premier dans l’eau fraîche mais non glacée du lac. Translucide et pure, je vois les cailloux et les algues au fond malgré les dizaines de mètres de profondeur. Les eaux sont poissonneuses et si je reconnais la plupart des espèces communes aux rivières d’Arden, certaines aux couleurs multicolores paraissent d’un autre monde.

Captivée par ce spectacle, j’oublie ma fatigue, me dévêts et entreprends une fouille systématique du lac. Ma constitution et mon entraînement sur l’ombre terre font que je peux rester plusieurs minutes sous l’eau sans soucis. Je regrette que les appareils de plongée ne fonctionnent pas si près d’Ambre. Je note dans un coin de ma mémoire de trouver un moyen de les faire fonctionner. Cela pourrait être utile, en changeant le mélange, le mécanisme de compression peut être. Mais il faut être chimiste et biologiste pour cela et je n'ai personne sous la main pour palier à ce manque de connaissance.

Les poissons font des rondes autour de moi, nullement effrayés. Parfois un de grande taille vient me voir. Il me dépasse mais ne semble guère intéressé à me prendre pour nourriture à mon grand soulagement. A nouveau, je me réprimande pour mon manque de prudence et plonge au fond, dégage quelques pierres et trouve la dague que j’ai désirée. Une lame effilée et facile à manier dans des conditions aquatiques. Un harpon pneumatique aurait été plus efficace mais je suis quasi sûre qu’il se serait enrayé au premier essai. Nue, je tiens la dague à la main ce qui ne facilite pas la nage, aussi je prends après quelques minutes la lame entre mes dent tels un pirate à l’assaut d’un brick.

L’exploration ne me prend pas plus de la journée tant le lac est petit. Je ne sais pas pourquoi mais je m’attendais à trouver une grotte sous marine, un monstre marin des légendes. Mais il n’en est rien, rien qu’un lac charmant dans une région paisible. Je me laisse sécher au soleil avant de revêtir mes vêtements. Mauvais choix, ils sentent la sueur. Je m’en débarrasse et ne conservant que mes sous vêtements et ma dague, je cherche de quoi me vêtir confortablement un peu plus loin. J’en profite pour trouver de quoi me restaurer.

Ce n’est qu’après une courte mais reconstituante sieste que je prends conscience d’un fait. Je contemple à nouveau les environs. Les arbres sont là, l’atmosphère est la même et pourtant je ne suis plus en Arden. J’ai suffisamment passé de temps dans les bois de mon père pour les reconnaître. Mais quant ais-je changé d’ombre ? Pendant ma course ? Se peut-il qu’inconsciemment, perdue dans mes pensées et en mouvement j’ai modifié la substance d’ombre au point de passer dans un autre lieu ? Je n’ai jamais entendu parler d’un tel événement mais mes oncles et tantes sont parfois secrets surtout en ce qui concerne leur savoir des pouvoirs.

La nuit tombe, mais reposée, je décide de ne pas établir de campement. Je poursuis mon chemin, à pied, et de nouveau plonge dans mes réflexions. Vais-je encore changer mon environnement alors que je laisse la Marelle loin de mes pensées ? J’ai l’impression que non mais lorsque mes pensées m’entraînent plus loin, s’enchaînent les unes aux autres au point de différer complètement de l’initiale et que mon attention, focalisée, oublie mon entourage, je ne peux que conclure que oui.

Cette fois, les arbres sont différents, le sol aussi. L’ombre nouvelle a des points communs avec Arden mais est indéniablement différente. Je ne reconnais cette fois plus rien, ni la géographie, ni le climat. Une douce neige commence à tomber et la nuit est vite passée. La lumière ambiante est celle d’un matin déjà bien avancé. Par précaution je vérifie que mon pouvoir est toujours actif, oui.

Prudente, je ralentis. Je sais que quelque chose ne tourne pas rond mais ignorant si j’en suis ou non l’inconsciente auteur des événements, j’applique le principe de précaution. C’est donc sans sursaut mais avec surprise que j’atteints une clairière. Au centre j’aperçois Morgenstern, le cheval de mon père. Imposante créature, la puissance d’un train, la vitesse d’un bolide, Morgenstern est connu aussi bien par notre famille que par nos ennemis. Véritable légende, il reste l’un des chevaux les plus exceptionnels qui soient. Il lève la tête à mon arrivée pour l’abaisser comme un salut. Il renifle l’air puis détourne les sabots et disparait dans les sous bois sans que j’aie eu le temps d’esquisser un geste. Je ne l’ai jamais monté mais je suis une des rares qui peut le toucher, mon père hormis bien sur.

Le message est clair aussi j’avance sans crainte au centre la clairière. Un coffre à demi enseveli siège. Le temps de le déterrer complètement et je l’ouvre découvrant à l’intérieur ma rapière, Toelena, mon armure, Gindler et un parchemin que je m’empresse de lire.

« Mhyn,

Les derniers événements me font t’interdire Arden. Ne me cherche pas et ne reviens pas en arrière. Je te contacte à mon bon vouloir.
Ne crois pas que je cherche à te protéger car la tâche que j’ai à te confier n’en est pas moins dangereuse. Trouve ton ami !

A. J. »

J comme Julian, A comme …. J’ai toujours interrogé mon père sur cette étrange signature, il est toujours resté muet. Rapidement j’enfile Gindler, blanche comme la neige taillée dans le cuir d’une chimère albinos tuée par mon père lors d’une guerre sainte m’a-t-il dit. Je n’en sais pas plus. Je ceins Toelena. Je garde la dague que j’enfile dans ma botte droite.

Bien sûr j’essaie de retourner en Arden, en vain. Mon père a bloqué la route, pourquoi et surtout comment ?

L’étendue des pouvoirs des mes aïeuls m’a toujours laissée coi.