Mhyn - Chapitre VI

La voie royale comporte des avantages et des inconvénients. Le principal avantage, surtout quant on a une armée derrière soi est la tranquillité du voyage et la sureté de la destination. L'inconvénient est le temps dédié à ce trip.

Voilà des mois que nous traversons ombre après ombre et si je n'avais pas leur confiance aveugle, mes hommes auraient désertés depuis des semaines. Je brise la monotonie du voyage en semant sur notre route des embûches destinées à les entraîner. Nous avons perdus douze hommes trop distraits pour éviter à temps une avalanche. Perte négligeable quant on pense au regain d'attention des autres.
Les tentatives de contact par atout se sont succédées durant les premiers jours pour finir par se lasser. J'ai clos mon esprit à ce moyen de communication et veille à ce que les ombres que nous traversons soient imperméables à leur pouvoir. Chose guère aisée car le pouvoir des atouts et celui de la Marelle sont étroitement imbriqués et interdire l'un peut influer sur l'autre.
C'était le huitième jour de notre chevauchée. Nous arrivions dans une ombre que les locaux appelaient Terkeen, ils ignoraient bien sur le concept d'ombre. Mon choix n'était pas innocent puisque Terkeen est proche de Eregnor, une ombre dont l'histoire politique est des plus contreversées. J'y laissais une missive par coursier qui pourra, par les routes d'Eregnor et Begma, atteindre Ambre et laisser son courrier à l'attention de Julian mon père. La lettre est sommaire :"Je vais bien. M."

J'ignore dans combien de temps ma lettre parviendra à Julian mais elle devrait suffire à le rassurer. Ce n'est pas la première fois que je pars plusieurs mois voire plusieurs années. Mais dans le domaine du refus de communication, c'est une première.
Les semaines qui suivirent furent calmes et ma route toute tracée. Je sais que je suis Méréas mais une chose m'échappe. Depuis des années j'ai tenté de le retrouver par ce moyen et à chaque fois la tentative fut vaine. Et là, par miracle, il se trouve que je suis sur sa trace sans difficulté. Dois-je tenter une descente aux enfers afin d'accélérer le mouvement ? L'envie ne me manque pas mais je ne peux me permettre le luxe de perdre plus d'hommes.

Je ne sais quel jour nous sommes, le temps et les calendriers changent d'ombre en ombre et je n'ai pas fais l'effort de convertir à chaque saut la date d'Ambre. Tout ce que je puis dire, c'est que la nuit est tombée depuis trois heures. Un vacarme se fait entendre. Nous n'avons rien vu venir. Ils viennent par centaines, le massacre n'est pas long. Les détails sont triviaux et inutiles, il ne me reste aucun homme mais le sacrifice des guerriers a permis ma fuite.

Je n'ai aucun remord mais ne peux m'empêcher que c'est un beau gâchis. Tapis dans l'ombre, j'essais de percevoir si je suis poursuivie. Je ne le pense pas, ils doivent chercher mon corps parmi la masse informe des cadavres. Encore une fois, l'attaque ne ciblait qu'une personne moi. Je doute que nous ayons empiété un territoire en guerre, j'y ais veillé. Nous avons été suivis à travers ombre et de surcroît par un expert. Je n'ai pas la maitrise d'une Fiona ou d'un Dworkin mais je sais semer des fausses routes, effacer mes traces. Seul un maître de voyage à travers Ombre aurait pu me suivre.

Je reprends ma route, trouve rapidement un cheval et galope. Des rochers tombent dernière moi, les arbres se ratatinent, les vallées se forment. L'herbe devient grasse et mouvante, elle agrippe quiconque n'y prend garde. Je pousse ma monture. Des craquelures au sol deviennent des gouffres. De la lave en émerge. Il fait chaud, trop chaud. Je continue, mes tempes battent au rythme de mon cœur et des changements que j'effectue. Les montagnes arides et acérées sont désormais le seul paysage labyrinthique que j'impose. Droite, gauche, gauche, gauche, droite, éboulis, ravin, droite, droite, gauche, droite, un cerbère se faufile derrière moi, tout droit, gauche, mon cheval me lâche, j'impose ma volonté à une espèce de bouc aux sabots adaptés à l'escalade. Il progresse par petits bonds qui font souffrir mon dos mais je ne perds pas ma concentration. Gauche, droite, tout droit. Cul de sac !

Je ne comprends pas, je fais faire demi tour à mon bouc quant un coup de feu retenti. La balle ricoche à quelques centimètres.

"Plus un geste !" Voix inconnue mais elle a parlé en thari. Ce n'est pas un local mais bien mon poursuivant. Mes ruses et mes embuches n'ont été que poussière pour lui.

"Qui êtes vous, que voulez vous ?" lance-je.

Un rire caverneux retenti. "Ce que je veux ? Mais toi bien sûr !"

Je dégaine, s'il voulait me tuer, il aurait pu le faire.

"Alors viens me chercher." Raille-je.

Je sens un sortilège d'immobilisation, je lève la main et hurle un mot, un seul. Le sort est brisé et par la même occasion la concentration de mon adversaire.

"Maudite !" crie-t-il.

Je saute à couvert.

"Te cacher ne te servira à rien, je sais où tu te trouve." Sa voix est confiante.

Je veux ériger ma protection de la Marelle quant je sens ses extensions du Logrus faufiler jusqu'à moi. Un adepte du chaos, je tiens là une partie des réponses à toutes mes interrogations. Trop tard pour m'en prémunir efficacement. Le choc est violent et je me retrouve à terre, éblouie. Je n'entends plus rien. Les environs paraissent différents mais j'avoue ne pas y avoir prêté attention, je ne puis donc l'affirmer.

Je tente une œillade dans la direction de la voix. Pas un mouvement. Encore une fois, je fus surprise par mon adversaire du fait que j'ignorais son existence et ses pouvoirs. Ne pouvant être constamment sur le qui vive de peur de tomber dans la schizophrénie, cette fois je ne me cherche pas d'excuse.

Toelena à la main, j'avance prudemment, de rocher en rocher. Des traces indiquent clairement sa position d'embuscade mais de lui rien de subsiste. Bien sur, je me doute qu'il n'a pas pris peur mais qu'il s'est simplement retiré, téléporté ou utilisation d'un atout, peu importe.

Chaosien, sorcier, sniper, cette fois mon adversaire est à la hauteur. Est-ce lui l'instigateur des précédentes tentatives ? A-t-il décidé de faire lui-même sa sale besogne ? Je ne puis rester sans information et c'est sans information que je suis en ce qui concerne les cours. Mon père m'en a parlé, des livres les mentionnent, j'y suis même aller une fois mais je ne me suis jamais attardée. Encore un tort ?

Je sors mes atouts de leur paquet et les parcoure à la recherche de ma porte de sortie. Sensation bizarre, leur contact n'est pas glacé mais tiède. De ce fait je ne suis pas surprise que le contact ne se fasse pas. Ce chaosien a bien fait les choses.

Il me coupe de toute retraite. Je me dois de vérifier si mon pouvoir fonctionne encore. Je marche plusieurs mètres avant d'effectuer une tentative. Un rocher pointu sur la droite, rien. Je continue, une flaque d'eau sur ma gauche derrière le tronc calciné. Rien. Encore et encore, rien et rien. Prisonnière !

Ma geôle doit faire plusieurs milliers de kilomètres carrés et se compose de roche et de lave. C'est seulement maintenant que je comprends sa stratégie. Il aura profité de ma défense contre ses extensions pour user d'un sortilège qui m'a transporté dans une zone hors influence, semblable et pourtant différente à l'ombre finale de ma descente aux enfers. Quelle ironie, jamais descente aux enfers n'aura aussi bien portée son nom.