Mhyn - Chapitre VII

Combien de temps erre-je dans cette ombre ? Des jours ? Des semaines ? Des années ? Mon horloge biologique est déréglée mais j'ai appris à m'y fier pour déterminer la différence temporelle entre une ombre et Ambre. Tout ce que je sais est qu'ici tout va vite, très vite. J'ai estimé à 1 semaine contre une heure en Ambre mais je peux me tromper à ce stade.

Le plus dur fut de trouver nourriture et eau. Mon pouvoir impuissant m'empêche de manipuler les probabilités de trouver de quoi me nourrir. Mes vêtements puent la sueur, je ne reconnais même plus mon odeur. Les premiers jours ont été une vaste exploration par la course. Le piège est parfait. Mon sens de la logique a été mis à rude épreuve. Toujours la même vallée, les mêmes rochers, les mêmes lacs de lave.
J'ai tout de suite pensé que je tournais en rond et revenais sur mes pas. J'ai entrepris de déplacer de petits cailloux mais à chaque fois ils revenaient en place. J'ai donc basculé de gros rochers et à mon passage suivant de nouveau en place.

L'endroit était comme reconstitué par magie le temps que je fasse le tour de la vallée. Je n'avais pas l'impression de tourner en rond mais dans cet état d'esprit, on est sur de rien. Puis j'ai de nouveau déplacé des cailloux, formé une flèche au sol. Puis lors de mon passage suivant dans la vallée, bien sûr plus de flèche, les cailloux étaient de nouveau à leur emplacement d'origine. C'est alors que j'ai fais demi tour et suis repartie en arrière. A mon arrivée dans la vallée, la flèche était là.

C'est seulement à ce moment que j'ai compris. L'ombre était composée d'une infinité de répétition de la même vallée. Je dis infinité mais je me suis arrêtée à la cent quinzième après plusieurs semaines.
Très habile, de quoi rendre fou le plus sain d'esprit. Pas de magie, pas d'énergie sur laquelle un sorcier pourrait s'appuyer. Pas de limite pour annihiler les efforts du plus endurant. Pas de diversité pour empêcher le sédentaire d'y vivre confortablement. Juste une vallée volcanique répétée encore et encore avec un minimum de survie. Une toute petite source à l'eau sulfureuse et une espèce de scarabée fournissant la viande minimum. L'infinité des vallées m'assure la quantité. Quand j'ai tué tous les scarabées d'une vallée, il me suffit de passer à l'autre.

Mon agresseur n'est jamais revenu.

Pour ne pas sombrer de la folie, je passe désormais le plus clair de mon temps en méditation et puisque je ne peux voyager de corps, je voyage d'esprit dans mes souvenirs.
Bien sur mes premiers souvenirs datent de ma plus tendre enfance, enfance surprotégée par Julian mon père qui voulait, d'après ses mots, m'éviter de rencontrer ses rapaces de frères et soeurs. Mais le premier souvenir qui me vient est celui d'un pas. Le premier pas, pas en tant que nouveau né, quoique la comparaison pourrait être adéquate mais celui que l'on fait lorsque l'on découvre un nouveau monde. Quant mon premier pas s'est posé sur la Marelle, j'ais tout de suite pensé à Christophe Colomb débarquant aux Amériques. Bien sur techniquement, il n'a pas découvert l'Amérique et ne fut pas le premier homme à poser le premier pas sur ces terres, tout comme Amstrong ne fut pas le premier sur la lune, mais le symbole correspond.

Comment décrire ma traversée ? Emotions intenses, voyage à travers soi, Poe lui-même n'aurait pas trouvé les mots, à peine eut-il pu écrire un roman complet décrivant le centième de ce qu'il se produit quant on accède au pouvoir des ombres.
Il parait que chaque expérience est unique et personnelle. Pour ma part, je me souviens de couleurs chatoyantes mêlées à une immense tristesse. Quant enfin je suis arrivée au centre, j'avais en moi le pouvoir de voyager à travers les ombres et le pouvoir de demander à la Marelle de me transporter n'importe où. Julian était au bord contemplant et accompagnant chacun de mes pas. Comme il me l'avait demandé, je me transportais auprès de lui après l'épreuve.

"Trop sont morts en jouant les caïds sans connaître comment maîtriser leur pouvoir."

Il passa les semaines suivantes à m'enseigner le voyage à travers ombre et ses différentes formes. Je crois que depuis jamais je n'ai passé autant de temps avec mon père.
J'ouvre un œil, un contact ! Enfin les prémices, je tente de l'accepter. Quelqu'un, une impression, une présence mais rien de plus. Le contact s'estompe. J'ai durant ma captivité tenté maintes fois mes atouts sans résultats. Est-ce plus facile de l'extérieur ou la personne qui usé de mon atout est-elle plus expérimenté. Peu importe, le résultat reste le même.
Je replonge dans mes souvenirs, cette fois c'est un baiser. Non pas le premier ni même le centième mais celui d'un homme, celui qui me vaut d'être ici. J'ai vécu avec lui plusieurs années sans savoir qu'il était lui aussi Ambrien. Une époque heureuse ou j'en oubliais Ambre et ses intrigues, des vacances pour l'esprit et l'âme. Mais une ambrienne ne s'attache pas, je le quittais donc non sans l'avoir regretter des centaines de fois par après. Il était différent des autres habitants de l'ombre et sans comprendre pourquoi cela m'attirait. De nature paysanne, il dégageait une noblesse qu'il s'ignorait, une générosité qu'il cachait et une intelligence qui sommeillait. Bien sûr, aujourd'hui sachant qu'il m'est un cousin éloigné, explique toutes ces choses. Vraiment ? Est-ce parce que l'on nait ambrien qu'on est forcement supérieur aux autres ? Notre patrimoine nous avantage mais c'est l'âme, le coeur de la personne qui sert d'engrais à cet avantage pour qu'il grandisse et devienne de la grandeur. Et cela, ambrien ou non, n'est pas inscrit dans nos gênes.

Je suis tombé dans le piège, l'amour. Je comprends ma Tante Flora, bien que je ne sois pas aussi volage qu'elle. Quoique le terme de volage ne lui aille pas, je suis certaine qu'elle aime réellement chacun de ses amants, seulement elle se lasse. Méréas est pour moi mon âme sœur et même à l'époque si j'avais su qu'il était un cousin cela n'aurait rien changé, cela ne change rien. J'essuie une larme de ma joue et la porte à mes lèvres. Elle a un gout salé que j'apprécie.

Je dessine son visage dans la poussière et la roche. Je suis faible parce que j'aime.