Mhyn - Chapitre VIII

La folie s'empare de mon être. Voilà des semaines que je ne me parle même plus lassée de cet interminable monologue. Je suis maigre, ma poitrine pourtant appréciée par maints amants n'est plus qu'une peau flétrie. Je remercie mon hôte de ne pas m'avoir laissé un miroir.

Père, où êtes-vous ? Méréas, es-tu seulement encore en vie ? Si j'avais su, nous aurions vécu heureux et jamais tu n'aurais connu tes origines, ce poison qui nous maintient éternellement dans une vie de tourments.
Parfois je crois percevoir une ombre, un mouvement. Je cours après mais ne rattrape que le vent. Un rire, un soupir, un éternuement. Au début les mirages étaient visuels, maintenant auditifs pour la simple raison que je n'ouvre même plus les yeux. Je peux me déplacer dans cette vallée tel un aveugle car chaque parcelle de mon corps en connait le moindre cailloux.

Une clochette, un tintement. Je n'y prête pas attention. La Marelle est le cœur de ma stabilité mentale. Dés que je sens mon esprit s'égarer, se perdre, je me concentre et me remémore ma traversée. Je retrouve alors un semblant de calme. Je peux rester des jours assise en tailleur à faire le vide dans ma tête. J'ai tant ressassé tous les événements de ma vie, tant élaboré différents scénarii de chaque étape, ce qu'il se serait passé si j'avais fait ça ou ça, que seul le vide m'apporte aujourd'hui une quiétude sereine. Je ne veux plus penser, plus réfléchir.

Pour la première fois hier, j'ai songé à la mort, à mettre fin à cette mascarade. Et pourtant une lueur d'espoir a fait fuir cette idée. Mais pour combien de temps encore ? Mon ravisseur m'a-t-il oublié ? Surement, je ne le gêne plus ou ses plans me concernant ont été modifiés.

Tintement, mon esprit a-t-il décidé d'accélérer ma chute dans la folie en ponctuant les étapes d'un ding aiguë rappelant la fin d'une cuisson dans un micro onde. Ding. Le cerveau de madame est à point. Ding. Veuillez sortir le cerveau de madame du four. Ding. Ding. Ding.

J'ouvre un œil, la lumière me brûle la cornée, façon de parler. Ma vision redevient nette. Dans un état normal, j'aurais sursauté, effectué un mouvement défensif tout en dégainant mon arme. Tout ce que je peux faire est d'entrouvrir mes lèvres sèches et laisser s'échapper une exclamation à peine audible. Un nain se tient devant moi. En habits de bouffon, il dodeline, laissant les clochettes de son chapeau à trois branches tinter. Il se secoue la tête. Drelin, drelin.

"Si c'est pas malheureux."

"Qui… qui êtes vous ?" peines-je à dire.

"Qui sait, ta conscience peut être ?". Il tourne la tête de droite à gauche. Drelin, drelin. "Bel endroit."

"On se lasse." Ma voix est déjà moins enrouée. "Vous n'auriez pas à boire par hasard ?"

"T'as de la chance.".

Il fouille dans sa poche et en sort une bouteille trop grande pour normalement y tenir. Il l'a débouche en mordant dans le bouchon. Ses dents sont d'un blanc éclatant mais disproportionnées et anormalement implantées. Il avale une longue lampée et me tend la bouteille.
Je la saisie et avale goulument, erreur. L'alcool me brûle le gosier, assèche ma gorge et incendie mon estomac. Tant pis, après ces mois à me contenter d'une eau sale sulfureuse, ce tord boyau est un nectar divin.

"Vous n'avez pas répondu à ma question. Qui êtes vous ?"

"Le savoir avancera-t-il ton évasion ?"

"Peut être pas mais cela satisfera ma curiosité. Je n'ai pas eu l'occasion de parler depuis des lustres, mais je crois me souvenir que les convenances incitent sur les présentations non ? Je m'appelle Mhyn."

"Je sais qui tu es Mhyn fille de Julian, prince d'Ambre, adepte de la Marelle, à la recherche de Méréas, fils de Corwin, prince d'Ambre et maître de la Marelle traître."


Stupéfaite, je reste coi. Il effectue une cabriole, il saisit un caillou dans sa main.

"Savoir qui je suis importe peu, crois moi."

"Que voulez vous alors ?"

"Voilà une bonne question. Comme tu l'auras deviné, j'espère si tu n'es pas aussi stupide que ton paternel, je ne suis pas ici par hasard. Cela te laisse deux choix : où je suis ton ravisseur et je souhaite jouer un peu avec toi avant de te laisser pourrir ici, ou je suis ton sauveur et bien sûr j'attends de toi un service pour ta libération."

"Ravisseur, nous n'aurions même pas cette conversation, sauveur, donnez moi votre prix."

"Toi."

Je ne sais que dire. Qu'entend-t-il par moi ? Croit-il se payer mes faveurs en échange de me sortir d'ici ? Je n'ai guère le choix même si son prix ne m'enchante guère.

"Bien."

"Ne te méprend pas, je ne souhaite pas ton corps, du moins sexuellement. Vois tu j'ai assez de succès auprès des femmes pour ne pas mendier de l'affection. Je veux que tu sois à mon service, disons, pendant une année d'ambre. Prix faible pour une ambrienne."

Esclave ? Servante ? Qu'est-ce qu'une année en échange de ma libération. De plus rien ne me prouve qu'on viendra me libérer d'ici une année.

"Entendu, tant que cela ne contredise pas mes convictions et que je ne dois pas affronter un des miens."

"Une année, sans condition, sans état d'âme, une année de servitude où tu obéiras à mes ordres sans poser de question. Tel est mon prix."

"Alors la réponse est non."

Je sais que je fais une erreur mais je ne suis pas encore assez folle pour en oublier mes principes.

"Hum…. Tant pis pour toi."

Il tourne les talons mais je sens un sourire se dessiner sur ses lèvres. "Au fait, je ne reviendrais pas."

Il saute une fois sur place, ding ding. Puis une autre fois, ding ding, au troisième saut, il traverse le sol comme si il n'existait pas et disparait.

Que dire sinon que j'ai longtemps pensé à cette étrange rencontre. Curieux personnage, ennemi ou ami ? Mais elle n'a pas été complètement inutile, il m'a laissé sa bouteille.